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Le Quotidien d'Oran, mercredi 20 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
Alors que les cours du pétrole se dirigent tranquillement vers les 150 dollars, une information à propos d’une nouvelle découverte de la compagnie pétrolière Eni est presque passée inaperçue. En début de semaine dernière, la « major » italienne a annoncé avoir découvert un gisement de sables bitumineux en République du Congo. Montant estimé des réserves : 7 milliards de barils dont l’exploitation pourrait débuter en 2011. Il fut un temps où ce type d’annonce n’aurait présenté aucun intérêt mais, aujourd’hui, les sables bitumineux font l’objet d’une véritable course de vitesse à l’échelle mondiale.
Commençons par expliquer de quoi il s’agit. En matière de pétrole, on peut distinguer le brut conventionnel et le non-conventionnel. Dans le premier cas, il s’agit du pétrole habituel que l’on peut exploiter normalement d’un bout à l’autre de la planète. Inutile de rappeler que dans cette catégorie, les pays du Golfe, et de façon plus générale ceux de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), tiennent le haut du pavé en matière de réserves prouvées.
Le Canada et le Venezuela, géants du brut non-conventionnel
A l’inverse, le pétrole non-conventionnel nécessite des technologies d’extraction et de raffinage plus coûteuses. Et ce n’est que parce que le baril de pétrole est actuellement à 130 dollars qu’il est rentable d’exploiter ce type d’hydrocarbures. Dans le cas des sables bitumineux, il s’agit d’un pétrole quasiment solide qu’il est nécessaire de liquéfier pour pouvoir le transporter et le raffiner. La problématique est identique pour le pétrole ultra-lourd qu’il faut aussi fluidifier avant de l’exploiter.
Ce qu’il y a d’intéressant avec ces pétroles non-conventionnels, c’est que leur géopolitique diffère totalement de celle des hydrocarbures classiques. En matière de sables bitumineux et de pétrole ultra-lourd, les pays de l’Opep sont loin derrière puisque le Canada et le Venezuela détiennent à eux seuls la moitié des réserves avec respectivement 269 et 179 milliards de barils. Alors que les Etats-Unis possèdent 37 milliards de barils de réserves de brut non-conventionnel, l’Arabie Saoudite (qui possède un cinquième des réserves mondiales d’or noir classique) n’en compte que 5 milliards de barils contre 3 milliards au Koweït et 4 milliards pour l’Iran.
Cette répartition géographique d’une toute autre nature, explique pourquoi les Etats-Unis sont très attentifs à l’évolution technologique en matière d’exploitation des sables bitumineux. Pour l’administration américaine, les gisements de l’Alberta au Canada sont la garantie que, demain, leur économie aura les moyens d’échapper à l’influence des pays membres de l’Opep, Arabie Saoudite en tête. En résumé, les sables bitumineux canadiens sont, pour Washington, un atout dans la perspective de l’épuisement annoncé des ressources pétrolières conventionnelles.
Un coût terrible pour l’environnement
Le problème, pour le Canada (et les Etats-Unis), c’est que l’exploitation des sables bitumineux est une catastrophe environnementale. Pour traiter une tonne de sable et liquéfier le pétrole, il faut user huit tonnes d’eau, le tout pour obtenir, dans le meilleur des cas, quelques dizaines de baril de brut qu’il faut ensuite traiter à l’hydrogène pour le transformer en carburant. Les résidus de telles opérations sont hautement toxiques et l’on comprend pourquoi l’exploitation des sables bitumineux fait l’objet de nombreuses controverses cela d’autant plus qu’elle augmente les émissions de gaz à effet de serre (ges) au Canada, l’un des pays qui a signé et ratifié le Protocole de Kyoto. Dès lors, on réalise que la bataille autour de ce texte n’est pas seulement liée à des enjeux industriels (les entreprises ne veulent pas être contraintes en matière d’émission de ges). C’est aussi parce qu’il est un obstacle à l’exploitation intensive des sables bitumineux que le Protocole de Kyoto est combattu par les Etats-Unis.
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Chroniques économiques, par Akram Belkaïd
L'essentiel des chroniques économiques publiées par le journaliste Akram Belkaïd, dans le Quotidien d'Oran (2008-...)
lundi
19. Les patrons, les riches et les salariés
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 21 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est un coup de sang qui a le mérite d’être signalé. La semaine dernière, Horst Köhler, l’actuel président de la république fédérale allemande et ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), a vertement mis en cause les banques pour leurs responsabilités dans l’actuelle crise financière. Dans un entretien accordé au magazine Stern, il a ainsi qualifié les banquiers « d’alchimistes responsables de la destruction massive d’actifs ». Sa critique a aussi porté sur les marchés financiers globalisés accusés d’être devenus des « monstres » qu’il serait urgent de remettre à leur place. Et c’est en toute logique que Köhler a plaidé pour une plus forte régulation de ces marchés sans oublier la « reconstruction d’une culture bancaire européenne ». En clair, il serait temps que les banquiers européens redeviennent plus sages et cessent de suivre leurs homologues américains sur la voie de l’avidité.
L’un des autres thèmes abordés par Horst Köhler concerne la rémunération des dirigeants d’entreprise qu’il juge « excessive » et « grotesque ». Dans un monde où le PDG d’une société peut gagner en un an l’équivalent de 300 ans de salaire d’un smicard, ce jugement s’inscrit dans une tendance nouvelle qui, jour après jour, appelle à plus d’équité en matière de revenus. D’ailleurs, Köhler n’est pas le seul à déplorer cette situation. Jean-Claude Junker, le premier ministre luxembourgeois qui préside aussi l’Eurogroupe (réunion informelle des pays membres de la zone euro), a fait entendre lui aussi son avis sur les patrons qui touchent gros. Pour celui que l’on pressent comme étant le futur président de l’Union européenne (UE), leurs salaires sont proprement « scandaleux ». Et, de fait, l’UE devrait plancher sur une réglementation destinée à limiter les abus en matière de salaires des dirigeants d’entreprise.
Pour autant, il faut se garder de croire aux contes de fées. Il y a peu de chances pour que la Commission adopte des règles révolutionnaires. Déjà, en 2004, Bruxelles avait émis des recommandations qui n’ont guère eu d’effets sur l’âpreté au gain des patrons européens. De même, il faut savoir que les lobbies patronaux sont bien décidés à contrer tout texte contraignant. Il suffit de lire les commentaires qui ont suivi les propos de Köhler pour en prendre conscience. Du Financial Times au Wall Street Journal, cela n’a été qu’ironie acerbe ou indignation face à des propos jugés d’un autre âge.
Pourtant, on se demande bien pourquoi les patrons européens s’indignent d’être montrés du doigt. Alors que leurs salaires explosent et qu’ils ne se refusent rien en matière de primes et de rémunération indirecte (notamment par le biais des stocks-options), la grande masse des salariés doit se serrer la ceinture. Dans sa dernière livraison consacrée aux riches, Manière de voir (le supplément trimestriel du Monde Diplomatique) cite les chiffres édifiants donnés par le FMI et la Commission européenne : dans les pays du G7, la part des salaires dans le produit intérieur brut a baissé de 5,8% entre 1983 et 2006. De même, au sein de l’Europe, cette part a chuté de 8,6%.
Voilà donc la situation. Alors que la productivité des salariés européens n’a jamais été aussi bonne, leurs salaires sont contenus au nom de la limitation des dépenses et, plus récemment, de la lutte contre l’inflation. Dès lors, on comprend pourquoi les opinions publiques commencent à râler ferme. Selon un sondage réalisé par le Financial Times et l’institut Harris, plus de 75% des habitants des pays développés considèrent que le gap – c'est-à-dire l’écart – entre les riches et les moins fortunés est trop grand. Cela vaut aussi aux Etats-Unis, pays où l’on est traditionnellement moins enclin à s’en prendre aux disparités salariales.
Plus important encore, une très grande majorité des sondés réclament que les plus riches paient plus d’impôts. La manière dont cette exigence va évoluer au cours des prochains mois et années constitue l’une des grandes inconnues. Sera-t-elle récupérée par les partis politiques de gauche ? Va-t-elle être étouffée par les lobbies et les gouvernements de droite au nom de la compétitivité ? Les paris sont ouverts.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 21 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est un coup de sang qui a le mérite d’être signalé. La semaine dernière, Horst Köhler, l’actuel président de la république fédérale allemande et ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), a vertement mis en cause les banques pour leurs responsabilités dans l’actuelle crise financière. Dans un entretien accordé au magazine Stern, il a ainsi qualifié les banquiers « d’alchimistes responsables de la destruction massive d’actifs ». Sa critique a aussi porté sur les marchés financiers globalisés accusés d’être devenus des « monstres » qu’il serait urgent de remettre à leur place. Et c’est en toute logique que Köhler a plaidé pour une plus forte régulation de ces marchés sans oublier la « reconstruction d’une culture bancaire européenne ». En clair, il serait temps que les banquiers européens redeviennent plus sages et cessent de suivre leurs homologues américains sur la voie de l’avidité.
L’un des autres thèmes abordés par Horst Köhler concerne la rémunération des dirigeants d’entreprise qu’il juge « excessive » et « grotesque ». Dans un monde où le PDG d’une société peut gagner en un an l’équivalent de 300 ans de salaire d’un smicard, ce jugement s’inscrit dans une tendance nouvelle qui, jour après jour, appelle à plus d’équité en matière de revenus. D’ailleurs, Köhler n’est pas le seul à déplorer cette situation. Jean-Claude Junker, le premier ministre luxembourgeois qui préside aussi l’Eurogroupe (réunion informelle des pays membres de la zone euro), a fait entendre lui aussi son avis sur les patrons qui touchent gros. Pour celui que l’on pressent comme étant le futur président de l’Union européenne (UE), leurs salaires sont proprement « scandaleux ». Et, de fait, l’UE devrait plancher sur une réglementation destinée à limiter les abus en matière de salaires des dirigeants d’entreprise.
Pour autant, il faut se garder de croire aux contes de fées. Il y a peu de chances pour que la Commission adopte des règles révolutionnaires. Déjà, en 2004, Bruxelles avait émis des recommandations qui n’ont guère eu d’effets sur l’âpreté au gain des patrons européens. De même, il faut savoir que les lobbies patronaux sont bien décidés à contrer tout texte contraignant. Il suffit de lire les commentaires qui ont suivi les propos de Köhler pour en prendre conscience. Du Financial Times au Wall Street Journal, cela n’a été qu’ironie acerbe ou indignation face à des propos jugés d’un autre âge.
Pourtant, on se demande bien pourquoi les patrons européens s’indignent d’être montrés du doigt. Alors que leurs salaires explosent et qu’ils ne se refusent rien en matière de primes et de rémunération indirecte (notamment par le biais des stocks-options), la grande masse des salariés doit se serrer la ceinture. Dans sa dernière livraison consacrée aux riches, Manière de voir (le supplément trimestriel du Monde Diplomatique) cite les chiffres édifiants donnés par le FMI et la Commission européenne : dans les pays du G7, la part des salaires dans le produit intérieur brut a baissé de 5,8% entre 1983 et 2006. De même, au sein de l’Europe, cette part a chuté de 8,6%.
Voilà donc la situation. Alors que la productivité des salariés européens n’a jamais été aussi bonne, leurs salaires sont contenus au nom de la limitation des dépenses et, plus récemment, de la lutte contre l’inflation. Dès lors, on comprend pourquoi les opinions publiques commencent à râler ferme. Selon un sondage réalisé par le Financial Times et l’institut Harris, plus de 75% des habitants des pays développés considèrent que le gap – c'est-à-dire l’écart – entre les riches et les moins fortunés est trop grand. Cela vaut aussi aux Etats-Unis, pays où l’on est traditionnellement moins enclin à s’en prendre aux disparités salariales.
Plus important encore, une très grande majorité des sondés réclament que les plus riches paient plus d’impôts. La manière dont cette exigence va évoluer au cours des prochains mois et années constitue l’une des grandes inconnues. Sera-t-elle récupérée par les partis politiques de gauche ? Va-t-elle être étouffée par les lobbies et les gouvernements de droite au nom de la compétitivité ? Les paris sont ouverts.
18. Dans le Golfe, l’inflation dérape
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 14 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est, pourrait-on écrire, la rançon du succès. Alors que les perspectives pour les économies du Golfe paraissent radieuses, de nombreux grains de sable viennent gâcher un peu la fête. Commençons par les bonnes nouvelles. A ce jour, grâce à la flambée des cours du pétrole et à la diversification en cours de leurs économies, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) devraient enregistrer une croissance moyenne de 6% en 2008. En début de semaine, le Fonds monétaire international (FMI) a d’ailleurs confirmé dans un rapport que la région n’est pas affectée par la crise des subprimes qui n’en finit pas d’ébranler le système financier mondial. Nouvelles usines, nouvelles villes, construction d’hôtels et de sites de loisir, installation de grandes écoles occidentales et méga-projets culturels à l’image du Louvre à Abou Dhabi, tout confirme que la région connaît un boom d’envergure.
Une politique monétaire limitée
Voilà pour le tableau d’honneur car, comme c’est souvent le cas, la médaille a un revers nommé inflation. C’est bien connu, quand une économie va bien, elle s’échauffe et les prix augmentent. Dans ces cas, la politique monétaire, qui agit sur les taux d’intérêts, est idéale pour piloter un refroidissement sans casser la croissance. Le problème pour les pays du Golfe est qu’ils n’ont pas les moyens de mener une véritable politique monétaire. D’abord, les Banques centrales de la région ne sont pas indépendantes et restent assujetties aux pouvoirs politiques. Ensuite, il y a le fait que les monnaies du CCG ont un lien fixe avec le dollar américain. Cela signifie que les Banques centrales du Golfe sont obligées d’aligner leurs politiques monétaires avec celle de la Réserve Fédérale. Ainsi, quand cette dernière baisse ses taux – ce qui fait plonger le dollar par rapport à d’autres devises – les institutions monétaires de la région sont obligées de l’imiter. Résultat, les dirham, rial et dinar plongent eux aussi et comme ils sont maintenus à des niveaux artificiellement bas – qui n’ont rien à voir avec la vigueur des économies de la région – cela aggrave l’inflation.
Pour le Fonds monétaire international (FMI), les pays du Golfe doivent apprendre à vivre avec l’inflation, cette dernière étant jugée inhérente à leur essor économique. Admettons. Mais il faut tout de même savoir que la hausse des prix va encore augmenter en moyenne de trois points cette année. Exemple : au Qatar, l’inflation, déjà record en 2007, devrait atteindre 16 à 17%. En Arabie Saoudite, où 70% de l’inflation est importée, la hausse des prix sur un an a atteint 9,6% en mars dernier soit un niveau record depuis les années 1970. Du coup, des voix se sont élevées pour que les monnaies de la région soient au moins réappréciées par rapport au dollar. L’intention est bonne mais cela risque désormais d’être insuffisant comme le démontre l’exemple du Koweït. L’émirat est le seul membre du CCG à avoir « osé » rompre le lien fixe entre sa monnaie et le billet vert. Cela n’a pas empêché l’inflation de pratiquement doubler en 2007 et d’atteindre 9,5% au début de l’année.
Les Emirats prennent le risque de la TVA
Pour Abul-Haleem Al-Muhaissen, directeur de la recherche et des études au sein de la fédération des chambres de commerce du CCG, « la réévaluation des monnaies du Golfe ou l’abandon du lien fixe avec le dollar ne pourra apaiser les tensions inflationnistes que si les pays concernés mettent en place des politiques monétaires réellement restrictives et qu’ils coupent dans les dépenses. » Langage classique d’économiste qui risque toutefois de n’avoir aucun écho notamment en ce qui concerne les dépenses publiques appelées à encore augmenter.
Reste la piste fiscale pour freiner l’inflation. Les Emirats arabes unis (EAU) viennent d’annoncer la création d’ici la fin de l’année d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Un projet qui n’enchante guère les émiratis mais aussi les expatriés qui voient déjà leur cagnotte fondre comme neige au soleil. Certains cols blancs ont déjà plié bagages, attirés par d’autres zones de croissance comme l’Inde, tandis que les cols bleus ont de plus en plus tendance à user de la grève, y compris violente comme ce fut le cas la semaine dernière à Sharjah, pour réclamer des augmentations de salaires… lesquelles n’ont pour seul effet que d’aggraver l’inflation.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 14 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est, pourrait-on écrire, la rançon du succès. Alors que les perspectives pour les économies du Golfe paraissent radieuses, de nombreux grains de sable viennent gâcher un peu la fête. Commençons par les bonnes nouvelles. A ce jour, grâce à la flambée des cours du pétrole et à la diversification en cours de leurs économies, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) devraient enregistrer une croissance moyenne de 6% en 2008. En début de semaine, le Fonds monétaire international (FMI) a d’ailleurs confirmé dans un rapport que la région n’est pas affectée par la crise des subprimes qui n’en finit pas d’ébranler le système financier mondial. Nouvelles usines, nouvelles villes, construction d’hôtels et de sites de loisir, installation de grandes écoles occidentales et méga-projets culturels à l’image du Louvre à Abou Dhabi, tout confirme que la région connaît un boom d’envergure.
Une politique monétaire limitée
Voilà pour le tableau d’honneur car, comme c’est souvent le cas, la médaille a un revers nommé inflation. C’est bien connu, quand une économie va bien, elle s’échauffe et les prix augmentent. Dans ces cas, la politique monétaire, qui agit sur les taux d’intérêts, est idéale pour piloter un refroidissement sans casser la croissance. Le problème pour les pays du Golfe est qu’ils n’ont pas les moyens de mener une véritable politique monétaire. D’abord, les Banques centrales de la région ne sont pas indépendantes et restent assujetties aux pouvoirs politiques. Ensuite, il y a le fait que les monnaies du CCG ont un lien fixe avec le dollar américain. Cela signifie que les Banques centrales du Golfe sont obligées d’aligner leurs politiques monétaires avec celle de la Réserve Fédérale. Ainsi, quand cette dernière baisse ses taux – ce qui fait plonger le dollar par rapport à d’autres devises – les institutions monétaires de la région sont obligées de l’imiter. Résultat, les dirham, rial et dinar plongent eux aussi et comme ils sont maintenus à des niveaux artificiellement bas – qui n’ont rien à voir avec la vigueur des économies de la région – cela aggrave l’inflation.
Pour le Fonds monétaire international (FMI), les pays du Golfe doivent apprendre à vivre avec l’inflation, cette dernière étant jugée inhérente à leur essor économique. Admettons. Mais il faut tout de même savoir que la hausse des prix va encore augmenter en moyenne de trois points cette année. Exemple : au Qatar, l’inflation, déjà record en 2007, devrait atteindre 16 à 17%. En Arabie Saoudite, où 70% de l’inflation est importée, la hausse des prix sur un an a atteint 9,6% en mars dernier soit un niveau record depuis les années 1970. Du coup, des voix se sont élevées pour que les monnaies de la région soient au moins réappréciées par rapport au dollar. L’intention est bonne mais cela risque désormais d’être insuffisant comme le démontre l’exemple du Koweït. L’émirat est le seul membre du CCG à avoir « osé » rompre le lien fixe entre sa monnaie et le billet vert. Cela n’a pas empêché l’inflation de pratiquement doubler en 2007 et d’atteindre 9,5% au début de l’année.
Les Emirats prennent le risque de la TVA
Pour Abul-Haleem Al-Muhaissen, directeur de la recherche et des études au sein de la fédération des chambres de commerce du CCG, « la réévaluation des monnaies du Golfe ou l’abandon du lien fixe avec le dollar ne pourra apaiser les tensions inflationnistes que si les pays concernés mettent en place des politiques monétaires réellement restrictives et qu’ils coupent dans les dépenses. » Langage classique d’économiste qui risque toutefois de n’avoir aucun écho notamment en ce qui concerne les dépenses publiques appelées à encore augmenter.
Reste la piste fiscale pour freiner l’inflation. Les Emirats arabes unis (EAU) viennent d’annoncer la création d’ici la fin de l’année d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Un projet qui n’enchante guère les émiratis mais aussi les expatriés qui voient déjà leur cagnotte fondre comme neige au soleil. Certains cols blancs ont déjà plié bagages, attirés par d’autres zones de croissance comme l’Inde, tandis que les cols bleus ont de plus en plus tendance à user de la grève, y compris violente comme ce fut le cas la semaine dernière à Sharjah, pour réclamer des augmentations de salaires… lesquelles n’ont pour seul effet que d’aggraver l’inflation.
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17. Algérie, Russie et diversification économique
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 7 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
Quand il s’agit d’évoquer les difficultés que rencontrent les producteurs de pétrole et de gaz naturel pour diversifier leurs économies, il n’est pas rare de trouver l’Algérie et la Russie dans la liste des pays présentés comme victimes du « dutch disease ». Ce « mal hollandais » désigne en effet le cercle vicieux engendré par l’existence de ressources naturelles abondantes, et à prix élevé, ce qui dissuade le « malade » de porter ses efforts et ses investissements vers d’autres secteurs productifs. Les économistes pointent donc régulièrement du doigt l’incapacité russe ou algérienne à réduire leur dépendance vis-à-vis de l’or noir et cette situation est d’autant plus mise en exergue que les deux pays enregistrent actuellement des recettes d’exportation records grâce à la flambée des cours de l’or noir (La Russie dispose de près de 507 milliards de dollars de réserves de change soit 25 mois d’importations contre 100 milliards de dollars et 36 mois d’importations pour l’Algérie).
Cela étant, les deux économies russe et algérienne présentent quelques différences notables. « Malgré les apparences, le tissu économique russe, découlant du modèle d’autosuffisance soviétique, est relativement diversifié », note ainsi une étude récente de la Banque française Natixis qui reconnaît toutefois que la « croissance économique russe reste largement tributaire des exportations de matières premières. » Aujourd’hui, la Russie est le second exportateur de pétrole dans le monde derrière l’Arabie Saoudite et sa part de marché mondiale ne cesse de progresser. Elle était de 5% en 1992, elle est de 10% aujourd’hui (16% pour l’Arabie Saoudite).
Mais contrairement au cas algérien où les hydrocarbures restent le pivot essentiel de la création de richesses (ils représentent plus de 95% des recettes extérieures), les ventes à l’étranger de brut et de gaz russes ne comptent plus que pour 60% du total des exportations. Bien sûr, les métaux (aciers et non ferreux) et mines ont une part de 20% mais l’agroalimentaire, la mécanique et la chimie russes résistent encore assez bien et arrivent à maintenir leurs parts de marché mondiales. Plus important, Moscou mobilise d’importantes ressources pour mener à bien la diversification de son économie avec le lancement récent d’une Banque de développement destinée à financer les projets hors-hydrocarbures. De même, le gouvernement russe vient de décider la création d’une entreprise spécialisée dans les nanotechnologies.
De plus, la croissance économique russe (+8,1% en 2007 soit l’appréciation la plus forte du Produit intérieur brut en sept ans) repose aussi sur des moteurs internes très dynamiques dont la consommation des ménages qui progresse de 12% en moyenne depuis 2004 et dont la bonne tenue est favorisée par la hausse des salaires et la baisse du chômage. L’autre moteur interne de la croissance russe réside dans l’investissement dans les activités d’extraction mais aussi l’immobilier et les services.
En terme de similitudes, Algérie et Russie souffrent du même syndrome de « l’import-import », le boom des importations en Russie ayant même pour effet de rogner l’excédent courant. « La forte accélération des importations stimulées par une demande intérieure dynamique témoigne de la faible capacité de l’industrie manufacturière russe à faire face à la concurrence des produits importés », notent encore les experts de Natixis.
Enfin, il est deux domaines où l’économie algérienne fait mieux que son homologue russe. D’abord, l’inflation est mieux maîtrisée en Algérie qu’en Russie. Ensuite, si les deux pays ont profité de la manne des hydrocarbures pour réduire leur endettement extérieur (34 milliards de dollars pour la Russie, près de 5 milliards de dollars pour l’Algérie), la Russie inquiète tout de même la communauté financière en raison de l’importance de son endettement privé (403 milliards de dollars pour les banques et les entreprises). Certes, il s’agit d’une dette plus ou moins à long terme mais le fait que 80% de ses encours soient libellés en devises étrangères fait peser un risque de défaut non négligeable surtout en cas de retournement de la conjoncture pétrolière. En ce sens, la prudence algérienne en matière d’endettement extérieur du secteur privé est à saluer.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 7 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
Quand il s’agit d’évoquer les difficultés que rencontrent les producteurs de pétrole et de gaz naturel pour diversifier leurs économies, il n’est pas rare de trouver l’Algérie et la Russie dans la liste des pays présentés comme victimes du « dutch disease ». Ce « mal hollandais » désigne en effet le cercle vicieux engendré par l’existence de ressources naturelles abondantes, et à prix élevé, ce qui dissuade le « malade » de porter ses efforts et ses investissements vers d’autres secteurs productifs. Les économistes pointent donc régulièrement du doigt l’incapacité russe ou algérienne à réduire leur dépendance vis-à-vis de l’or noir et cette situation est d’autant plus mise en exergue que les deux pays enregistrent actuellement des recettes d’exportation records grâce à la flambée des cours de l’or noir (La Russie dispose de près de 507 milliards de dollars de réserves de change soit 25 mois d’importations contre 100 milliards de dollars et 36 mois d’importations pour l’Algérie).
Cela étant, les deux économies russe et algérienne présentent quelques différences notables. « Malgré les apparences, le tissu économique russe, découlant du modèle d’autosuffisance soviétique, est relativement diversifié », note ainsi une étude récente de la Banque française Natixis qui reconnaît toutefois que la « croissance économique russe reste largement tributaire des exportations de matières premières. » Aujourd’hui, la Russie est le second exportateur de pétrole dans le monde derrière l’Arabie Saoudite et sa part de marché mondiale ne cesse de progresser. Elle était de 5% en 1992, elle est de 10% aujourd’hui (16% pour l’Arabie Saoudite).
Mais contrairement au cas algérien où les hydrocarbures restent le pivot essentiel de la création de richesses (ils représentent plus de 95% des recettes extérieures), les ventes à l’étranger de brut et de gaz russes ne comptent plus que pour 60% du total des exportations. Bien sûr, les métaux (aciers et non ferreux) et mines ont une part de 20% mais l’agroalimentaire, la mécanique et la chimie russes résistent encore assez bien et arrivent à maintenir leurs parts de marché mondiales. Plus important, Moscou mobilise d’importantes ressources pour mener à bien la diversification de son économie avec le lancement récent d’une Banque de développement destinée à financer les projets hors-hydrocarbures. De même, le gouvernement russe vient de décider la création d’une entreprise spécialisée dans les nanotechnologies.
De plus, la croissance économique russe (+8,1% en 2007 soit l’appréciation la plus forte du Produit intérieur brut en sept ans) repose aussi sur des moteurs internes très dynamiques dont la consommation des ménages qui progresse de 12% en moyenne depuis 2004 et dont la bonne tenue est favorisée par la hausse des salaires et la baisse du chômage. L’autre moteur interne de la croissance russe réside dans l’investissement dans les activités d’extraction mais aussi l’immobilier et les services.
En terme de similitudes, Algérie et Russie souffrent du même syndrome de « l’import-import », le boom des importations en Russie ayant même pour effet de rogner l’excédent courant. « La forte accélération des importations stimulées par une demande intérieure dynamique témoigne de la faible capacité de l’industrie manufacturière russe à faire face à la concurrence des produits importés », notent encore les experts de Natixis.
Enfin, il est deux domaines où l’économie algérienne fait mieux que son homologue russe. D’abord, l’inflation est mieux maîtrisée en Algérie qu’en Russie. Ensuite, si les deux pays ont profité de la manne des hydrocarbures pour réduire leur endettement extérieur (34 milliards de dollars pour la Russie, près de 5 milliards de dollars pour l’Algérie), la Russie inquiète tout de même la communauté financière en raison de l’importance de son endettement privé (403 milliards de dollars pour les banques et les entreprises). Certes, il s’agit d’une dette plus ou moins à long terme mais le fait que 80% de ses encours soient libellés en devises étrangères fait peser un risque de défaut non négligeable surtout en cas de retournement de la conjoncture pétrolière. En ce sens, la prudence algérienne en matière d’endettement extérieur du secteur privé est à saluer.
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mercredi
16. Mondialisation et pouvoir d’achat
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
Au cours des dernières années de nombreuses études ont démontré que la mondialisation avait un effet économique positif puisqu’elle a permis de contenir l’inflation ce mal qui hante depuis longtemps les nuits des banquiers centraux. Par quel mécanisme ce bouleversement en matière d’échanges commerciaux et de remodelage de la carte des productions industrielles a-t-il pu jouer un rôle désinflationniste ? Le raisonnement est très simple. Avec la mondialisation, frontières et droits de douane se sont effacés ce qui a permis la circulation de produits d’autant plus bon marché qu’ils étaient fabriqués dans des pays à faibles coûts de main-d’œuvre.
L'exemple par le "made in China"
Le meilleur exemple à citer pour bien comprendre cette évolution est bien entendu le « made in China ». Tous les consommateurs du monde entier, ou presque, ont bénéficié au cours de la dernière décennie des exportations chinoises. Jouets, électronique grand public, textiles, sont autant de secteurs où les prix ont été clairement tirés à la baisse ce qui a permis à la fois de limiter l’inflation mais aussi de démontrer que la mondialisation était bonne pour le pouvoir d’achat.
Cette dernière affirmation valait aussi pour les Chinois dont près de 200 millions – les projections les plus optimistes tablent sur 400 millions – ont été sauvés de la pauvreté extrême grâce justement au rôle pivot joué par leur pays dans la globalisation. En devenant l’atelier du monde, la Chine a donc rendu service à la planète tout en améliorant le sort de sa population. On peut ajouter aussi que c’est le « made in China » qui a soutenu l’économie mondiale car sans lui, il y a bien longtemps que se serait tassée la consommation américaine (cette dernière représente les deux tiers de l’économie des Etats-Unis laquelle est, rappelons, la première du monde). Si les ménages aux Etats-Unis ne rechignent pas à acheter deux ou trois lecteurs de DVD sans compter les multiples gadgets électroniques, c’est bien parce qu’ils sont le plus souvent fabriqués en Chine et vendus pour une poignée de dollars.
Il n’est pas question de remettre en cause ces conclusions mais il est temps de les relativiser car l’impact positif de la mondialisation sur le pouvoir d’achat a masqué d’autres phénomènes bien plus inquiétants. On connaît le premier : la mondialisation a certes offert des prix bas aux consommateurs mais elle a aussi détruit des emplois ce qui revient in fine à faire disparaître des consommateurs. Aux Etats-Unis, au moins cinq millions d’emplois ont été détruits depuis la fin des années 1990 en raison de la mise en place d’un accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique (Alena) mais aussi de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Certes, une partie de ces emplois ont été remplacés mais les Américains y ont perdu au change puisque les postes détruits étaient le plus souvent bien mieux rémunérés. Et c’est là où intervient la seconde réserve majeure vis-à-vis de la mondialisation. Outre le fait qu’elle détruit des emplois dans de nombreux pays – notamment industrialisés – elle a comme conséquence de tirer les salaires vers le bas. En somme, le consommateur a peut-être la possibilité d’acheter des produits bon marché mais, dans le même temps, son porte-monnaie est moins garni.
Là aussi, on peut objecter que les salaires n’évoluent pas de la même manière selon que l’on soit dans un pays industrialisés ou dans un pays émergent. Il est vrai qu’ils ont tendance à augmenter en Chine mais, soyons clair, ils n’atteindront jamais l’équivalent des minima salariaux des pays riches. A l’inverse, le chantage à la délocalisation est désormais une réalité et cela explique pourquoi les salaires au sein de l’OCDE n’augmentent guère.
L'Algérie en marge de la mondialisation
Quant à l’Algérie, son cas est à part car elle est, quoique prétende la vulgate officielle, en marge de la mondialisation. Avec des recettes exclusivement tirées de la rente pétrolière et gazière, le pays ne subit aucune menace de délocalisation et les pays émergents ne sont guère des compétiteurs pour lui. Cela signifie que la réflexion autour de la redistribution de la manne des hydrocarbures restera toujours posée tant que le modèle économique algérien n’aura pas été remanié. Pour être clair, il est légitime pour la population algérienne de réclamer plus de pouvoir d’achat puisque ce n’est pas cela qui modifiera de manière notable la manière dont fonctionne l’économie.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
Au cours des dernières années de nombreuses études ont démontré que la mondialisation avait un effet économique positif puisqu’elle a permis de contenir l’inflation ce mal qui hante depuis longtemps les nuits des banquiers centraux. Par quel mécanisme ce bouleversement en matière d’échanges commerciaux et de remodelage de la carte des productions industrielles a-t-il pu jouer un rôle désinflationniste ? Le raisonnement est très simple. Avec la mondialisation, frontières et droits de douane se sont effacés ce qui a permis la circulation de produits d’autant plus bon marché qu’ils étaient fabriqués dans des pays à faibles coûts de main-d’œuvre.
L'exemple par le "made in China"
Le meilleur exemple à citer pour bien comprendre cette évolution est bien entendu le « made in China ». Tous les consommateurs du monde entier, ou presque, ont bénéficié au cours de la dernière décennie des exportations chinoises. Jouets, électronique grand public, textiles, sont autant de secteurs où les prix ont été clairement tirés à la baisse ce qui a permis à la fois de limiter l’inflation mais aussi de démontrer que la mondialisation était bonne pour le pouvoir d’achat.
Cette dernière affirmation valait aussi pour les Chinois dont près de 200 millions – les projections les plus optimistes tablent sur 400 millions – ont été sauvés de la pauvreté extrême grâce justement au rôle pivot joué par leur pays dans la globalisation. En devenant l’atelier du monde, la Chine a donc rendu service à la planète tout en améliorant le sort de sa population. On peut ajouter aussi que c’est le « made in China » qui a soutenu l’économie mondiale car sans lui, il y a bien longtemps que se serait tassée la consommation américaine (cette dernière représente les deux tiers de l’économie des Etats-Unis laquelle est, rappelons, la première du monde). Si les ménages aux Etats-Unis ne rechignent pas à acheter deux ou trois lecteurs de DVD sans compter les multiples gadgets électroniques, c’est bien parce qu’ils sont le plus souvent fabriqués en Chine et vendus pour une poignée de dollars.
Il n’est pas question de remettre en cause ces conclusions mais il est temps de les relativiser car l’impact positif de la mondialisation sur le pouvoir d’achat a masqué d’autres phénomènes bien plus inquiétants. On connaît le premier : la mondialisation a certes offert des prix bas aux consommateurs mais elle a aussi détruit des emplois ce qui revient in fine à faire disparaître des consommateurs. Aux Etats-Unis, au moins cinq millions d’emplois ont été détruits depuis la fin des années 1990 en raison de la mise en place d’un accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique (Alena) mais aussi de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Certes, une partie de ces emplois ont été remplacés mais les Américains y ont perdu au change puisque les postes détruits étaient le plus souvent bien mieux rémunérés. Et c’est là où intervient la seconde réserve majeure vis-à-vis de la mondialisation. Outre le fait qu’elle détruit des emplois dans de nombreux pays – notamment industrialisés – elle a comme conséquence de tirer les salaires vers le bas. En somme, le consommateur a peut-être la possibilité d’acheter des produits bon marché mais, dans le même temps, son porte-monnaie est moins garni.
Là aussi, on peut objecter que les salaires n’évoluent pas de la même manière selon que l’on soit dans un pays industrialisés ou dans un pays émergent. Il est vrai qu’ils ont tendance à augmenter en Chine mais, soyons clair, ils n’atteindront jamais l’équivalent des minima salariaux des pays riches. A l’inverse, le chantage à la délocalisation est désormais une réalité et cela explique pourquoi les salaires au sein de l’OCDE n’augmentent guère.
L'Algérie en marge de la mondialisation
Quant à l’Algérie, son cas est à part car elle est, quoique prétende la vulgate officielle, en marge de la mondialisation. Avec des recettes exclusivement tirées de la rente pétrolière et gazière, le pays ne subit aucune menace de délocalisation et les pays émergents ne sont guère des compétiteurs pour lui. Cela signifie que la réflexion autour de la redistribution de la manne des hydrocarbures restera toujours posée tant que le modèle économique algérien n’aura pas été remanié. Pour être clair, il est légitime pour la population algérienne de réclamer plus de pouvoir d’achat puisque ce n’est pas cela qui modifiera de manière notable la manière dont fonctionne l’économie.
15. Un baril à 1000 ou à 20 dollars ?
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 23 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est bien connu, les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel mais l’actuelle flambée des cours du pétrole semble faire oublier cet adage plein de bon sens. De fait, il ne se passe pas une journée sans qu’une note de recherche émise par un grand établissement financier ne donne dans la surenchère en annonçant un baril à plusieurs centaines de dollars. La tendance n’est pas nouvelle. Il y a plus d’un an, Goldman Sachs avait déjà défrayé la chronique en prévoyant que le Brent toucherait les 300 dollars. On attend donc les prochaines prédictions et il ne faudra pas s’étonner si un expert en mal de publicité s’avance à pronostiquer un baril à 500 voire à 1000 dollars.
Cela devrait mettre la puce à l’oreille à tous les producteurs de pétrole à commencer par les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). En effet, quand ce genre de prévisions se multiplient sur un marché donné, c’est qu’un mouvement spéculatif inverse est en train de se mettre en place. Ce fut le cas par exemple au début des années 2000 avec les valeurs de l’internet. D’un côté, des analystes promettaient la lune aux investisseurs, allant toujours plus loin dans les estimations optimistes en matière de hausse des cours et, de l’autre, les grandes banques d’affaires et les grandes maisons de courtage préparaient en sous-main leur sortie du marché. Après le krach du Nasdaq en mars 2000, ne sont restés que les gogos qui, justement, avaient cru que les indices boursiers pouvaient caresser les étoiles.
Mettons-nous à la place d’un trader opérant aujourd’hui sur les marchés de l’énergie. Deux attitudes s’offrent à lui. La première, moutonnière, le ferait suivre le mouvement en pariant sur une hausse continue du baril. Pour justifier ses positions acheteuses (on achète aujourd’hui car cela vaudra plus cher demain), il aura l’embarras du choix en matière d’arguments. La production mondiale est insuffisante pour répondre à la demande, notamment celle des pays émergents, Chine et Inde en tête. Les pays membres de l’Opep ont, semble-t-il, décidé de ne pas s’en laisser compter et ils continueront à refuser d’ouvrir les vannes malgré les injonctions des pays consommateurs. De plus, les compagnies pétrolières ont pris tellement de retard dans leurs programmes d’exploration que ce n’est pas demain la veille que de nouveaux gisements seront découverts.
De même, notre trader aura bien soin de rappeler que les producteurs hors-Opep sont eux aussi au taquet et qu’ils sont incapables d’augmenter leur production de plus de 600.000 barils par jour alors qu’il en faudrait, affirment les experts, plus du double voire du triple pour calmer le marché. Enfin, ce même trader ne pourra s’empêcher de se dire que ses concurrents font le même raisonnement que lui et qu’il a intérêt à ne pas prendre de risques s’il veut se garantir un coquet bonus à la fin de l’année.
Mais dans le même temps, il faut s’imaginer un autre trader, moins suiviste, lequel, comme ses pairs qui viennent de gagner des milliards de dollars en pariant depuis 2005 sur la crise des subprime, se dit que tout cela n’a pas de sens. En quoi, se demande-t-il, une augmentation de la demande mondiale de pétrole d’à peine 1,5% par an peut-elle justifier que l’on se prenne à fantasmer sur un baril à 200 dollars. Certes, ce trader sait que, par effet mécanique, la plongée du dollar américain contribue à augmenter le prix de l’or noir. Il sait aussi que la soudaine mise au ban des agrocarburants a un effet haussier sur les cours du brut. Mais il sait aussi que l’on ne réalise de jolis coups qu’en pariant contre le marché et c’est donc ce que lui et une poignée d’autres opérateurs sont en train de faire en ce moment. Cela signifie que, tôt ou tard, le prix du baril va dévisser. Il suffit juste d’attendre le catalyseur : une nette remontée du dollar, la découverte d’un champ pétrolier ou un atterrissage plus brutal que prévu de la croissance chinoise. C’est alors, n’en doutons pas, que les notes de recherche commenceront à s’interroger sur un baril à 20 dollars…
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 23 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est bien connu, les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel mais l’actuelle flambée des cours du pétrole semble faire oublier cet adage plein de bon sens. De fait, il ne se passe pas une journée sans qu’une note de recherche émise par un grand établissement financier ne donne dans la surenchère en annonçant un baril à plusieurs centaines de dollars. La tendance n’est pas nouvelle. Il y a plus d’un an, Goldman Sachs avait déjà défrayé la chronique en prévoyant que le Brent toucherait les 300 dollars. On attend donc les prochaines prédictions et il ne faudra pas s’étonner si un expert en mal de publicité s’avance à pronostiquer un baril à 500 voire à 1000 dollars.
Cela devrait mettre la puce à l’oreille à tous les producteurs de pétrole à commencer par les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). En effet, quand ce genre de prévisions se multiplient sur un marché donné, c’est qu’un mouvement spéculatif inverse est en train de se mettre en place. Ce fut le cas par exemple au début des années 2000 avec les valeurs de l’internet. D’un côté, des analystes promettaient la lune aux investisseurs, allant toujours plus loin dans les estimations optimistes en matière de hausse des cours et, de l’autre, les grandes banques d’affaires et les grandes maisons de courtage préparaient en sous-main leur sortie du marché. Après le krach du Nasdaq en mars 2000, ne sont restés que les gogos qui, justement, avaient cru que les indices boursiers pouvaient caresser les étoiles.
Mettons-nous à la place d’un trader opérant aujourd’hui sur les marchés de l’énergie. Deux attitudes s’offrent à lui. La première, moutonnière, le ferait suivre le mouvement en pariant sur une hausse continue du baril. Pour justifier ses positions acheteuses (on achète aujourd’hui car cela vaudra plus cher demain), il aura l’embarras du choix en matière d’arguments. La production mondiale est insuffisante pour répondre à la demande, notamment celle des pays émergents, Chine et Inde en tête. Les pays membres de l’Opep ont, semble-t-il, décidé de ne pas s’en laisser compter et ils continueront à refuser d’ouvrir les vannes malgré les injonctions des pays consommateurs. De plus, les compagnies pétrolières ont pris tellement de retard dans leurs programmes d’exploration que ce n’est pas demain la veille que de nouveaux gisements seront découverts.
De même, notre trader aura bien soin de rappeler que les producteurs hors-Opep sont eux aussi au taquet et qu’ils sont incapables d’augmenter leur production de plus de 600.000 barils par jour alors qu’il en faudrait, affirment les experts, plus du double voire du triple pour calmer le marché. Enfin, ce même trader ne pourra s’empêcher de se dire que ses concurrents font le même raisonnement que lui et qu’il a intérêt à ne pas prendre de risques s’il veut se garantir un coquet bonus à la fin de l’année.
Mais dans le même temps, il faut s’imaginer un autre trader, moins suiviste, lequel, comme ses pairs qui viennent de gagner des milliards de dollars en pariant depuis 2005 sur la crise des subprime, se dit que tout cela n’a pas de sens. En quoi, se demande-t-il, une augmentation de la demande mondiale de pétrole d’à peine 1,5% par an peut-elle justifier que l’on se prenne à fantasmer sur un baril à 200 dollars. Certes, ce trader sait que, par effet mécanique, la plongée du dollar américain contribue à augmenter le prix de l’or noir. Il sait aussi que la soudaine mise au ban des agrocarburants a un effet haussier sur les cours du brut. Mais il sait aussi que l’on ne réalise de jolis coups qu’en pariant contre le marché et c’est donc ce que lui et une poignée d’autres opérateurs sont en train de faire en ce moment. Cela signifie que, tôt ou tard, le prix du baril va dévisser. Il suffit juste d’attendre le catalyseur : une nette remontée du dollar, la découverte d’un champ pétrolier ou un atterrissage plus brutal que prévu de la croissance chinoise. C’est alors, n’en doutons pas, que les notes de recherche commenceront à s’interroger sur un baril à 20 dollars…
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14. L’Islande, le maillon faible ?
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 16 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
La crise financière que connaît la planète, et que nombre de spécialistes présentent comme la plus grave depuis celle de 1929, va-t-elle empirer ? Pour les optimistes, les mesures mises en place aux Etats-Unis pour soutenir le crédit bancaire et la consommation ont permis, pour le moment, d’éviter la catastrophe. De même, la prise de conscience des autorités monétaires européennes et asiatiques de la nécessité de ne pas laisser s’installer le doute sur les marchés financiers est considérée comme une garantie qui empêcherait le scénario noir de se dérouler, c'est-à-dire une large contamination de l’économie réelle par une sphère financière en pleine déroute. Pour autant, de nombreuses experts cherchent actuellement à identifier les points faibles où la digue pourrait rompre. A ce jour, trois zones sont citées de manière fréquente.
Il y a d’abord les pays d’Amérique latine dont on craint toujours un dérapage et cela parce que le souvenir de la crise de la dette des années 1980 reste vivace. Dans ce cas précis, l’inquiétude relève donc plutôt du réflexe pavlovien et les performances économiques de cette région sont pour le moment rassurantes. La seconde zone suivie de près est l’Europe de l’Est, notamment la Hongrie mais aussi les pays baltes. Dans ce cas précis, ce sont les banques qui font l’objet de toutes les interrogations car elles se sont souvent endettées en devises étrangères pour soutenir l’activité locale dont l’immobilier. Un défaut de l’un de ces établissements pourrait propager la panique dans tout le système financier mondial et c’est pourquoi le Fonds monétaire international (FMI) appelle ces banques à assainir leurs bilans.
Mais, troisième source d’inquiétude, c’est avant tout l’Islande qui représenterait le vrai risque pour la stabilité du système financier mondial. Il est vrai que la situation économique de ce pays peu médiatisé n’est pas vraiment faite pour rassurer. Il y a une semaine, la Sedlabanki, la Banque centrale islandaise, a encore relevé son taux directeur d’un demi-point pour le porter à 15,5%. Il y a un mois, l’institution financière avait déjà procédé à un relèvement du loyer de l’argent en augmentant ses taux de 1,25 point à 15%. Aujourd’hui, l’Islande est donc le pays européen où les taux sont les plus élevés loin devant la Hongrie (8%) ou la Pologne (5,5%) et même la Turquie (15,25%). Pour la Sedlabanki, ces hausses de taux sont destinées à lutter contre l’inflation mais aussi et surtout à « restaurer la confiance ».
Comme c’est souvent le cas, cette situation coïncide avec une fin de cycle. Durant ces dernières années, l’économie islandaise a été l’une des plus flamboyantes d’Europe avec un taux de croissance moyen de 4% (7,7% en 2004). Ce boom a d’abord provoqué une surchauffe avec une hausse de l’inflation qui a atteint 5,7% en 2007 (8,7% en mars). On est ainsi loin de l’objectif officiel de 2,5% et la hausse du coût de la vie est d’autant plus importante que l’Islande est un grand importateur de biens de consommation courante. Mais jusque-là, pourrait-on dire, on ne voit guère pourquoi l’Islande serait le maillon faible de l’économie mondiale. Le problème, c’est que cette économie dépend en grande partie des performances de son secteur financier.
Chose peu connue, les banques islandaises sont en effet très dynamiques et portent l’économie locale. Très actives sur le plan international, elles représentent en terme de capitalisation, les deux tiers de la Bourse de Reykjavik. Or, depuis plusieurs mois, ces établissements donnent de sérieux signes d’essoufflement tandis que l’économie islandaise semble être entrée en récession. Du coup, les investisseurs internationaux ont de moins en moins confiance comme le montre la perte de 25% de la couronne islandaise face à l’euro depuis janvier dernier. Si le mouvement de défiance se poursuit, cela signifie que ces mêmes investisseurs continueront de retirer leurs avoirs d’Islande ce qui déclencherait, par effet de dominos, une aggravation de la crise financière internationale. En effet, les banques islandaises, en mal de liquidités, auraient du mal à faire face à leurs engagements ce qui mettrait leurs vis-à-vis en difficulté et par ricochet l’ensemble du secteur financier international.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 16 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
La crise financière que connaît la planète, et que nombre de spécialistes présentent comme la plus grave depuis celle de 1929, va-t-elle empirer ? Pour les optimistes, les mesures mises en place aux Etats-Unis pour soutenir le crédit bancaire et la consommation ont permis, pour le moment, d’éviter la catastrophe. De même, la prise de conscience des autorités monétaires européennes et asiatiques de la nécessité de ne pas laisser s’installer le doute sur les marchés financiers est considérée comme une garantie qui empêcherait le scénario noir de se dérouler, c'est-à-dire une large contamination de l’économie réelle par une sphère financière en pleine déroute. Pour autant, de nombreuses experts cherchent actuellement à identifier les points faibles où la digue pourrait rompre. A ce jour, trois zones sont citées de manière fréquente.
Il y a d’abord les pays d’Amérique latine dont on craint toujours un dérapage et cela parce que le souvenir de la crise de la dette des années 1980 reste vivace. Dans ce cas précis, l’inquiétude relève donc plutôt du réflexe pavlovien et les performances économiques de cette région sont pour le moment rassurantes. La seconde zone suivie de près est l’Europe de l’Est, notamment la Hongrie mais aussi les pays baltes. Dans ce cas précis, ce sont les banques qui font l’objet de toutes les interrogations car elles se sont souvent endettées en devises étrangères pour soutenir l’activité locale dont l’immobilier. Un défaut de l’un de ces établissements pourrait propager la panique dans tout le système financier mondial et c’est pourquoi le Fonds monétaire international (FMI) appelle ces banques à assainir leurs bilans.
Mais, troisième source d’inquiétude, c’est avant tout l’Islande qui représenterait le vrai risque pour la stabilité du système financier mondial. Il est vrai que la situation économique de ce pays peu médiatisé n’est pas vraiment faite pour rassurer. Il y a une semaine, la Sedlabanki, la Banque centrale islandaise, a encore relevé son taux directeur d’un demi-point pour le porter à 15,5%. Il y a un mois, l’institution financière avait déjà procédé à un relèvement du loyer de l’argent en augmentant ses taux de 1,25 point à 15%. Aujourd’hui, l’Islande est donc le pays européen où les taux sont les plus élevés loin devant la Hongrie (8%) ou la Pologne (5,5%) et même la Turquie (15,25%). Pour la Sedlabanki, ces hausses de taux sont destinées à lutter contre l’inflation mais aussi et surtout à « restaurer la confiance ».
Comme c’est souvent le cas, cette situation coïncide avec une fin de cycle. Durant ces dernières années, l’économie islandaise a été l’une des plus flamboyantes d’Europe avec un taux de croissance moyen de 4% (7,7% en 2004). Ce boom a d’abord provoqué une surchauffe avec une hausse de l’inflation qui a atteint 5,7% en 2007 (8,7% en mars). On est ainsi loin de l’objectif officiel de 2,5% et la hausse du coût de la vie est d’autant plus importante que l’Islande est un grand importateur de biens de consommation courante. Mais jusque-là, pourrait-on dire, on ne voit guère pourquoi l’Islande serait le maillon faible de l’économie mondiale. Le problème, c’est que cette économie dépend en grande partie des performances de son secteur financier.
Chose peu connue, les banques islandaises sont en effet très dynamiques et portent l’économie locale. Très actives sur le plan international, elles représentent en terme de capitalisation, les deux tiers de la Bourse de Reykjavik. Or, depuis plusieurs mois, ces établissements donnent de sérieux signes d’essoufflement tandis que l’économie islandaise semble être entrée en récession. Du coup, les investisseurs internationaux ont de moins en moins confiance comme le montre la perte de 25% de la couronne islandaise face à l’euro depuis janvier dernier. Si le mouvement de défiance se poursuit, cela signifie que ces mêmes investisseurs continueront de retirer leurs avoirs d’Islande ce qui déclencherait, par effet de dominos, une aggravation de la crise financière internationale. En effet, les banques islandaises, en mal de liquidités, auraient du mal à faire face à leurs engagements ce qui mettrait leurs vis-à-vis en difficulté et par ricochet l’ensemble du secteur financier international.
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13. Le pari risqué de Strauss-Kahn
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 09 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
Dominique Strauss-Kahn serait-il déjà en campagne pour la présidentielle de 2012 ? C’est ce que se demandent plusieurs économistes après les déclarations alarmistes du directeur général du fonds monétaire international (FMI) à propos de la conjoncture internationale. Dans un entretien accordé en début de semaine au Financial Times, celui qui, malgré son installation à Washington, reste l’une des figures de proue du parti socialiste français, a appelé à « une intervention des pouvoirs publics » face à l’aggravation de la crise. Pour « DSK » ces derniers sont « la troisième ligne de défense » après les politiques budgétaire et monétaire. « Un effort doit être fait sur la restructuration des prêts » a-t-il précisé estimant que c’est aux gouvernements de pallier à la défaillance des banques. En clair, ce serait aux Etats de combler les pertes des établissements financiers dues à la crise des « subprimes. »
Un débat à propos du découplage
C’est ce qui s’est d’ailleurs passé en Grande-Bretagne avec la nationalisation de la Northern Rock ou encore, de façon plus originale avec le sauvetage de Bear Sterns, racheté pour presque rien par JP Morgan avec la bénédiction et le soutien de la Réserve fédérale (Fed) américaine qui s’est portée garante des actifs risqués de la banque déchue. Mais faut-il pour autant généraliser ces sauvetages en créant, comme le suggère Strauss-Kahn, des structures de défaisance destinée à accueillir les actifs douteux des banques comme ce fut le cas pour le Crédit Lyonnais au début des années 1990 ? Il faudrait pour cela, estiment les économistes, que la situation soit aussi grave dans le reste du monde qu’aux Etats-Unis. C’est bien parce que la chute possible de Bear Sterns menaçait tout le système financier américain – on parle de risque systémique – que Ben Bernanke, le président de la Fed et Henry Paulson, le Secrétaire au Trésor, sont intervenus en urgence.
Pour le directeur général du FMI, la situation est aussi grave aux Etats-Unis qu’ailleurs. Alors que plusieurs indices donnent à penser que l’on est effectivement sorti de la zone la plus critique de la crise, il enfonce le clou, affirmant que « la crise est mondiale » et que la théorie du découplage selon laquelle les économies émergentes ne seraient pas affectées par les difficultés aux Etats-Unis, est « totalement fallacieuse ». A la veille des réunions de printemps du FMI du 12 et 13 avril, Strauss-Kahn a même prédit un ralentissement important de l’économie mondiale en raison de la crise financière. Selon lui, l’institution internationale va abaisser sa prévision de croissance mondiale à 3,7% contre une estimation de 4,1% établie au mois de janvier dernier. Plus important encore, il n’a pas caché ses inquiétudes face à la fragilité de certains « pays d’Europe centrale, membres de l’Union européenne ».
Tir de barrage de la part des Européens
Ce cri d’alarme de Strauss-Kahn n’a guère convaincu les dirigeants européens. Certains le soupçonnent même de vouloir forcer le trait pour se parer des habits de sauveur de l’économie mondiale. Une stratégie qui ne serait pas dénuée d’arrières pensées électorales à l’horizon de la présidentielle française de 2012… En milieu de semaine dernière, c’est le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Junker qui a jugé que le FMI était trop pessimiste dans ses prévisions de croissance pour l’Europe (la projection établie par le Fonds devrait être ramenée à 1,3% contre 1,6% précédemment). En Allemagne, le son de cloche est identique puisque l’Allemagne a estimé elle aussi que le FMI était trop pessimiste quant à l’évolution de sa conjoncture.
On le voit, les déclarations de Strauss-Kahn ne font pas l’unanimité. En endossant le rôle de celui qui crie au loup, ce dernier joue donc sa crédibilité d’économiste pour des gains politiques qui restent à démontrer. Certes, si la crise financière qui secoue les Etats-Unis s’étend au reste du monde, il pourra toujours rappeler que lui et le FMI ont joué leur rôle de vigie. Mais dans ce cas, il est vraisemblable qu’on lui rétorquera que pour un grand argentier, l’essentiel n’est pas de prévoir une crise mais de la résoudre.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 09 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
Dominique Strauss-Kahn serait-il déjà en campagne pour la présidentielle de 2012 ? C’est ce que se demandent plusieurs économistes après les déclarations alarmistes du directeur général du fonds monétaire international (FMI) à propos de la conjoncture internationale. Dans un entretien accordé en début de semaine au Financial Times, celui qui, malgré son installation à Washington, reste l’une des figures de proue du parti socialiste français, a appelé à « une intervention des pouvoirs publics » face à l’aggravation de la crise. Pour « DSK » ces derniers sont « la troisième ligne de défense » après les politiques budgétaire et monétaire. « Un effort doit être fait sur la restructuration des prêts » a-t-il précisé estimant que c’est aux gouvernements de pallier à la défaillance des banques. En clair, ce serait aux Etats de combler les pertes des établissements financiers dues à la crise des « subprimes. »
Un débat à propos du découplage
C’est ce qui s’est d’ailleurs passé en Grande-Bretagne avec la nationalisation de la Northern Rock ou encore, de façon plus originale avec le sauvetage de Bear Sterns, racheté pour presque rien par JP Morgan avec la bénédiction et le soutien de la Réserve fédérale (Fed) américaine qui s’est portée garante des actifs risqués de la banque déchue. Mais faut-il pour autant généraliser ces sauvetages en créant, comme le suggère Strauss-Kahn, des structures de défaisance destinée à accueillir les actifs douteux des banques comme ce fut le cas pour le Crédit Lyonnais au début des années 1990 ? Il faudrait pour cela, estiment les économistes, que la situation soit aussi grave dans le reste du monde qu’aux Etats-Unis. C’est bien parce que la chute possible de Bear Sterns menaçait tout le système financier américain – on parle de risque systémique – que Ben Bernanke, le président de la Fed et Henry Paulson, le Secrétaire au Trésor, sont intervenus en urgence.
Pour le directeur général du FMI, la situation est aussi grave aux Etats-Unis qu’ailleurs. Alors que plusieurs indices donnent à penser que l’on est effectivement sorti de la zone la plus critique de la crise, il enfonce le clou, affirmant que « la crise est mondiale » et que la théorie du découplage selon laquelle les économies émergentes ne seraient pas affectées par les difficultés aux Etats-Unis, est « totalement fallacieuse ». A la veille des réunions de printemps du FMI du 12 et 13 avril, Strauss-Kahn a même prédit un ralentissement important de l’économie mondiale en raison de la crise financière. Selon lui, l’institution internationale va abaisser sa prévision de croissance mondiale à 3,7% contre une estimation de 4,1% établie au mois de janvier dernier. Plus important encore, il n’a pas caché ses inquiétudes face à la fragilité de certains « pays d’Europe centrale, membres de l’Union européenne ».
Tir de barrage de la part des Européens
Ce cri d’alarme de Strauss-Kahn n’a guère convaincu les dirigeants européens. Certains le soupçonnent même de vouloir forcer le trait pour se parer des habits de sauveur de l’économie mondiale. Une stratégie qui ne serait pas dénuée d’arrières pensées électorales à l’horizon de la présidentielle française de 2012… En milieu de semaine dernière, c’est le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Junker qui a jugé que le FMI était trop pessimiste dans ses prévisions de croissance pour l’Europe (la projection établie par le Fonds devrait être ramenée à 1,3% contre 1,6% précédemment). En Allemagne, le son de cloche est identique puisque l’Allemagne a estimé elle aussi que le FMI était trop pessimiste quant à l’évolution de sa conjoncture.
On le voit, les déclarations de Strauss-Kahn ne font pas l’unanimité. En endossant le rôle de celui qui crie au loup, ce dernier joue donc sa crédibilité d’économiste pour des gains politiques qui restent à démontrer. Certes, si la crise financière qui secoue les Etats-Unis s’étend au reste du monde, il pourra toujours rappeler que lui et le FMI ont joué leur rôle de vigie. Mais dans ce cas, il est vraisemblable qu’on lui rétorquera que pour un grand argentier, l’essentiel n’est pas de prévoir une crise mais de la résoudre.
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12. La chronique économique : A quoi sert le FMI ?
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 2 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
En fin de semaine dernière, le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a approuvé un projet de réforme de son système de vote qui donne plus de poids aux pays émergents. Ou plutôt qui est censé en donner plus car dans la réalité, le changement est presque imperceptible ou en tous les cas guère suffisant. Qu’on en juge : les propositions adoptées – qui doivent encore être approuvées individuellement par 85% des 185 Etats membres du fonds – prévoient que les pays développés cèdent une part infime de leurs voix, soit 1,6% en faveur des pays émergents ou en développement. En un mot, la réforme attendue depuis plusieurs années a accouché d’un souriceau. Au final, après cette réformette, les pays développés détiendront 57,9% des voix (contre 59,5%) et ceux du Sud 42,1% (contre 40,5%).
Cette question des droits de vote au sein du FMI est cruciale. Depuis plusieurs années, cette institution est critiquée parce qu’elle continue à fonctionner selon un mécanisme hérité des lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, époque où les pays du nord dominaient l’économie de la planète. Aujourd’hui, les choses ont changé. La mondialisation est une réalité intangible et des pays tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil sont les locomotives de la croissance mondiale sans parler des tigres asiatiques ou même des pays du Golfe. Malgré cela, la répartition des droits de vote au sein du Fonds monétaire international n’a guère changé, les pays développés s’arc-boutant sur leurs privilèges ce qui fait dire à nombre d’observateurs du sud que le FMI n’est plus qu’un club de vieux riches.
Le nouveau directeur général du Fonds, Dominique Strauss-Kahn, a d’ailleurs admis que la modification adoptée n’est pas suffisante. Pour lui, il s’agit d’un premier pas qui doit en appeler d’autres. Pour autant, il n’est pas sûr que les pays du nord, Européens en tête, acceptent de céder encore de leur pouvoir au sein de l’institution. Les membres de l’Union européenne refusent par exemple que leurs droits de vote soient fondus en un seul qui serait, bien entendu, inférieur à la somme de leurs quotas actuels. Dès lors, on comprend pourquoi de nombreux experts mais aussi des ONG influentes comme Oxfam ont dénoncé cette réforme. En effet, ils craignent que les choses en restent là et que le Fmi continue à être sous influence du Nord. Plus grave encore, rien ne permet d’affirmer que cette réforme sera adoptée car son adoption individuelle par 85% des membres du Fonds n’est pas garantie.
Mais cette question des droits de vote n’est que l’arbre qui cache la forêt. En effet, on peut légitimement se poser la question de l’utilité de cette organisation internationale que d’aucuns affirme qu’elle est devenue obsolète. Il faut dire que le bilan des dix dernières années du Fonds ne plaide guère pour lui. Il a été incapable de prévoir la crise asiatique – certains experts affirment même qu’il l’a provoquée par les exigences imposées aux pays de la zone -, pas plus qu’il n’a vu venir l’éclatement de la bulle technologique et encore moins la crise des subprime. Plus important encore, le bilan de ses ajustements structurels est plus que mitigé notamment en Afrique où la situation macro-économique ne s’améliore guère.
Par ailleurs, le FMI est dans la situation d’une banque qui n’a presque plus de clients. Dans un monde gorgé de liquidités, les pays qui sollicitent encore son aide se comptent sur les doigts d’une seule main. Dans le cercle fermé des nations qui comptent sur l’échiquier mondial, la Turquie est ainsi la seule à être concernée par un programme du Fonds. Et, pour ce dernier, le danger risque de venir d’Asie où de nombreux pays réfléchissent à créer « leur » fonds de façon à échapper à l’influence jugée trop démesurée des Etats-Unis sur les institutions de Bretton Woods. C’est évident, l’étoile du FMI est en train de pâlir. Après les dégâts qu’il a infligé à nombre de pays du Sud, il était temps que cela arrive…
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 2 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris
En fin de semaine dernière, le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a approuvé un projet de réforme de son système de vote qui donne plus de poids aux pays émergents. Ou plutôt qui est censé en donner plus car dans la réalité, le changement est presque imperceptible ou en tous les cas guère suffisant. Qu’on en juge : les propositions adoptées – qui doivent encore être approuvées individuellement par 85% des 185 Etats membres du fonds – prévoient que les pays développés cèdent une part infime de leurs voix, soit 1,6% en faveur des pays émergents ou en développement. En un mot, la réforme attendue depuis plusieurs années a accouché d’un souriceau. Au final, après cette réformette, les pays développés détiendront 57,9% des voix (contre 59,5%) et ceux du Sud 42,1% (contre 40,5%).
Cette question des droits de vote au sein du FMI est cruciale. Depuis plusieurs années, cette institution est critiquée parce qu’elle continue à fonctionner selon un mécanisme hérité des lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, époque où les pays du nord dominaient l’économie de la planète. Aujourd’hui, les choses ont changé. La mondialisation est une réalité intangible et des pays tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil sont les locomotives de la croissance mondiale sans parler des tigres asiatiques ou même des pays du Golfe. Malgré cela, la répartition des droits de vote au sein du Fonds monétaire international n’a guère changé, les pays développés s’arc-boutant sur leurs privilèges ce qui fait dire à nombre d’observateurs du sud que le FMI n’est plus qu’un club de vieux riches.
Le nouveau directeur général du Fonds, Dominique Strauss-Kahn, a d’ailleurs admis que la modification adoptée n’est pas suffisante. Pour lui, il s’agit d’un premier pas qui doit en appeler d’autres. Pour autant, il n’est pas sûr que les pays du nord, Européens en tête, acceptent de céder encore de leur pouvoir au sein de l’institution. Les membres de l’Union européenne refusent par exemple que leurs droits de vote soient fondus en un seul qui serait, bien entendu, inférieur à la somme de leurs quotas actuels. Dès lors, on comprend pourquoi de nombreux experts mais aussi des ONG influentes comme Oxfam ont dénoncé cette réforme. En effet, ils craignent que les choses en restent là et que le Fmi continue à être sous influence du Nord. Plus grave encore, rien ne permet d’affirmer que cette réforme sera adoptée car son adoption individuelle par 85% des membres du Fonds n’est pas garantie.
Mais cette question des droits de vote n’est que l’arbre qui cache la forêt. En effet, on peut légitimement se poser la question de l’utilité de cette organisation internationale que d’aucuns affirme qu’elle est devenue obsolète. Il faut dire que le bilan des dix dernières années du Fonds ne plaide guère pour lui. Il a été incapable de prévoir la crise asiatique – certains experts affirment même qu’il l’a provoquée par les exigences imposées aux pays de la zone -, pas plus qu’il n’a vu venir l’éclatement de la bulle technologique et encore moins la crise des subprime. Plus important encore, le bilan de ses ajustements structurels est plus que mitigé notamment en Afrique où la situation macro-économique ne s’améliore guère.
Par ailleurs, le FMI est dans la situation d’une banque qui n’a presque plus de clients. Dans un monde gorgé de liquidités, les pays qui sollicitent encore son aide se comptent sur les doigts d’une seule main. Dans le cercle fermé des nations qui comptent sur l’échiquier mondial, la Turquie est ainsi la seule à être concernée par un programme du Fonds. Et, pour ce dernier, le danger risque de venir d’Asie où de nombreux pays réfléchissent à créer « leur » fonds de façon à échapper à l’influence jugée trop démesurée des Etats-Unis sur les institutions de Bretton Woods. C’est évident, l’étoile du FMI est en train de pâlir. Après les dégâts qu’il a infligé à nombre de pays du Sud, il était temps que cela arrive…
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vendredi
11. Où l’on reparle des Fonds souverains
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 26 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
L’une des conséquences connues de la crise des subprimes est qu’elle a instauré le doute au sein du secteur bancaire qui est de moins en moins enclin à prêter aux entreprises. C’est ce que l’on appelle communément le « credit-crunch ». Résumons : les banques prennent des risques, investissent dans des segments qui finissent par s’avérer totalement insolvables et, plus grave encore, elles finissent par avoir du mal à faire l’inventaire exact de leurs pertes potentielles. Résultat, en cette période de fortes incertitudes, elles décident de ne plus prêter aux particuliers ou aux entreprises. Pire, elles refusent même de prêter à d’autres établissements bancaires et financiers. C’est pourquoi la Réserve fédérale américaine (Fed) ainsi que la Banque centrale européenne (BCE) ont injecté de l’argent frais dans les circuits interbancaires, l’idée étant d’encourager les banques se prêter de l’argent entre-elles.
La banque, une priorité pour les fonds souverains
Mais en attendant que la confiance revienne, la situation offre une foule d’opportunités aux fonds souverains (ou Sovereign Wealth Funds, SWF) pour qui les banques à la recherche de liquidités deviennent des proies faciles. « Vous voulez de l’argent ? Ouvrez-nous votre capital », tel est le deal qui se noue jour après jour depuis que la crise des subprimes a commencé en 2007. Et les statistiques publiées en début de semaine par le cabinet Dealogic, et citées par le Financial Times, le confirment : pour les fonds souverains importants, les banques sont une priorité. En 2007, ces fonds d’Etat ont investi pour près de 48,5 milliards de dollars. Pour les seuls deux premiers mois de 2008, le montant déboursé atteint déjà 24,4 milliards de dollars, c’est dire si l’on se dirige vers un record pour cette année. En clair, avant même d’examiner la composition de ces investissements, il ne fait nul doute que 2008 est déjà l’année des fonds souverains.
Si l’on prend le montant cumulé des investissements des SWF depuis le 1er janvier 2007, soit 72,9 milliards de dollars, on note, relève Dealogic, que l’essentiel, soit 60,7 milliards de dollars concerne le secteur bancaire. On se souvient par exemple que le fonds souverain d’Abu Dhabi a déboursé 7,5 milliards de dollars à l’automne dernier pour prendre 4,9% du capital de Citigroup, la première banque américaine. De même, le fonds de Singapour Temasek a placé 4,4 milliards de dollars dans le capital de Merrill Lynch en décembre dernier tout en possédant désormais 20% du britannique Standard Chartered spécialisé dans les pays émergents. Enfin, il faut rappeler que GIC, l’autre fonds de Singapour, a lui aussi investi 6,9 milliards de dollars dans le capital de Citigroup et qu’il s’est allié à un fonds souverain du Golfe – dont l’identité demeure secrète ( !) – pour investir 9 milliards de dollars dans la très vénérable Union des banques suisses (UBS).
Une solution pour le Crédit populaire d’Algérie ?
Contrairement à une idée reçue, ces investissements ont été bien accueillis par les autorités de tutelles des banques concernées. Certes, l’opinion publique a un peu tiqué comme en Suisse où l’on se demande encore quel est ce fameux fonds arabe qui est entré dans le capital d’UBS. Mais les gouvernements sont moins anxieux car ils font le pari que les fonds souverains demeureront des investisseurs à long terme plus préoccupés par le caractère durable de leur placement que par le retour immédiat sur investissement. En clair, contrairement aux investisseurs traditionnels, comme notamment les fonds de pension ou bien les fonds spéculatifs, les SWF sont moins enclins à exiger des rentabilités à deux chiffres. Cela signifie que la banque qui accueille dans son capital un fonds souverain aura moins la pression du court terme et moins la tentation d’opérer des investissements risqués pour, justement, offrir une rentabilité élevée.
Faut-il pour autant que le processus de privatisation du Crédit populaire d’Algérie retienne aussi l’hypothèse d’un fonds souverain ? Pas sûr. D’abord, les fonds souverains prennent rarement le contrôle total d’une banque, ensuite, ils ne disposent pas de l’expertise pour moderniser une telle entité. Seul avantage, leur présence dans le capital d’une banque oblige les autres actionnaires à réfréner leurs exigences en matière de retour sur investissement et cela pour le plus grand bien de la banque en question.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 26 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
L’une des conséquences connues de la crise des subprimes est qu’elle a instauré le doute au sein du secteur bancaire qui est de moins en moins enclin à prêter aux entreprises. C’est ce que l’on appelle communément le « credit-crunch ». Résumons : les banques prennent des risques, investissent dans des segments qui finissent par s’avérer totalement insolvables et, plus grave encore, elles finissent par avoir du mal à faire l’inventaire exact de leurs pertes potentielles. Résultat, en cette période de fortes incertitudes, elles décident de ne plus prêter aux particuliers ou aux entreprises. Pire, elles refusent même de prêter à d’autres établissements bancaires et financiers. C’est pourquoi la Réserve fédérale américaine (Fed) ainsi que la Banque centrale européenne (BCE) ont injecté de l’argent frais dans les circuits interbancaires, l’idée étant d’encourager les banques se prêter de l’argent entre-elles.
La banque, une priorité pour les fonds souverains
Mais en attendant que la confiance revienne, la situation offre une foule d’opportunités aux fonds souverains (ou Sovereign Wealth Funds, SWF) pour qui les banques à la recherche de liquidités deviennent des proies faciles. « Vous voulez de l’argent ? Ouvrez-nous votre capital », tel est le deal qui se noue jour après jour depuis que la crise des subprimes a commencé en 2007. Et les statistiques publiées en début de semaine par le cabinet Dealogic, et citées par le Financial Times, le confirment : pour les fonds souverains importants, les banques sont une priorité. En 2007, ces fonds d’Etat ont investi pour près de 48,5 milliards de dollars. Pour les seuls deux premiers mois de 2008, le montant déboursé atteint déjà 24,4 milliards de dollars, c’est dire si l’on se dirige vers un record pour cette année. En clair, avant même d’examiner la composition de ces investissements, il ne fait nul doute que 2008 est déjà l’année des fonds souverains.
Si l’on prend le montant cumulé des investissements des SWF depuis le 1er janvier 2007, soit 72,9 milliards de dollars, on note, relève Dealogic, que l’essentiel, soit 60,7 milliards de dollars concerne le secteur bancaire. On se souvient par exemple que le fonds souverain d’Abu Dhabi a déboursé 7,5 milliards de dollars à l’automne dernier pour prendre 4,9% du capital de Citigroup, la première banque américaine. De même, le fonds de Singapour Temasek a placé 4,4 milliards de dollars dans le capital de Merrill Lynch en décembre dernier tout en possédant désormais 20% du britannique Standard Chartered spécialisé dans les pays émergents. Enfin, il faut rappeler que GIC, l’autre fonds de Singapour, a lui aussi investi 6,9 milliards de dollars dans le capital de Citigroup et qu’il s’est allié à un fonds souverain du Golfe – dont l’identité demeure secrète ( !) – pour investir 9 milliards de dollars dans la très vénérable Union des banques suisses (UBS).
Une solution pour le Crédit populaire d’Algérie ?
Contrairement à une idée reçue, ces investissements ont été bien accueillis par les autorités de tutelles des banques concernées. Certes, l’opinion publique a un peu tiqué comme en Suisse où l’on se demande encore quel est ce fameux fonds arabe qui est entré dans le capital d’UBS. Mais les gouvernements sont moins anxieux car ils font le pari que les fonds souverains demeureront des investisseurs à long terme plus préoccupés par le caractère durable de leur placement que par le retour immédiat sur investissement. En clair, contrairement aux investisseurs traditionnels, comme notamment les fonds de pension ou bien les fonds spéculatifs, les SWF sont moins enclins à exiger des rentabilités à deux chiffres. Cela signifie que la banque qui accueille dans son capital un fonds souverain aura moins la pression du court terme et moins la tentation d’opérer des investissements risqués pour, justement, offrir une rentabilité élevée.
Faut-il pour autant que le processus de privatisation du Crédit populaire d’Algérie retienne aussi l’hypothèse d’un fonds souverain ? Pas sûr. D’abord, les fonds souverains prennent rarement le contrôle total d’une banque, ensuite, ils ne disposent pas de l’expertise pour moderniser une telle entité. Seul avantage, leur présence dans le capital d’une banque oblige les autres actionnaires à réfréner leurs exigences en matière de retour sur investissement et cela pour le plus grand bien de la banque en question.
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10. Economie mondiale : toujours des doutes et des craintes
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 19 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
Sommes-nous à la veille d’une crise financière et économique comparable en ampleur et dégâts potentiels à celle de 1929 ? Il ne se passe pas une semaine sans que cette question soit posée par la presse, les économistes ou les politiciens. Il faut dire que la liste des mauvaises nouvelles ne cesse de s’allonger. Il y a d’abord l’économie américaine qui est très vraisemblablement entrée en récession comme l’indiquent plusieurs statistiques récentes. Le consommateur étasunien dépense moins, voit ses avoirs immobiliers perdre de leur valeur et se demande comment il va rembourser ses multiples crédits. Dans le même temps, les entreprises rechignent à investir ce qui n’est jamais bon signe pour l’avenir. Et l’on prétendra ce que l’on voudra, quand l’économie américaine éternue, c’est tôt ou tard, le monde entier, pays émergents compris, qui s’enrhumera.
Chute du dollar et interrogations sur les subprimes
Le second problème majeur est la chute continue du dollar. Conséquence de la faiblesse de l’économie américaine, la chute du billet vert atteint désormais 35% par rapport à l’euro depuis 2005. Ce repli, qui désormais inquiète la Maison-Blanche, est une menace réelle pour la stabilité du système financier international. En effet, si jamais cette glissade se poursuit, les détenteurs d’actifs libellés en dollars pourraient être tentés de céder leurs avoirs pour limiter leurs pertes. Un désengagement qui provoquera immanquablement une nouvelle chute de la devise américaine avec ce que cela signifie comme faillites en cascades aux Etats-Unis mais aussi dans tous les pays membres des zones dollars (Amérique latine, Proche-Orient et Golfe,…).
Le troisième nuage qui plane sur l’économie mondiale est bien entendu la crise des « subprimes ». La question à ce sujet est simple : quel est le montant exact des pertes des banques ? Il y a deux mois encore, on évoquait le chiffre, déjà impressionnant de 400 milliards de dollars. Aujourd’hui, il semble que cette estimation était sous-évaluée même si personne n’est capable d’avancer un chiffre définitif. Une chose est certaine, les banques n’ont pas tout dit et nombreuses sont celles qui risquent d’appeler les Banques centrales et leurs concurrentes à la rescousse. Il est vraisemblable aussi que chaque semaine apporte son lot de mauvaises découvertes y compris au sein des établissements en pointe en matière de gestion de risque.
La titrisation en question
Il faut dire que la finance mondiale a atteint un tel degré de sophistication qu’avoir une idée claire des engagements risqués d’une banque est quasiment impossible. Des techniques comme celle de la titrisation ont accentué le caractère abstrait de certains produits financiers et cela aggrave la tâche des banques mais aussi des autorités de régulation. Prenez par exemple un crédit à la consommation consenti par une banque à un ménage. Cette créance est ensuite titrisée, c'est-à-dire « découpée » en plusieurs titres échangés sur le marché financier. Problème, quand le crédit n’est pas remboursé, ces titres ne valent plus rien. C’est, pour simplifier, ce qui s’est passé pour les crédits immobiliers risqués (« subprime »).
Et l’on se demande aujourd’hui si, outre les prêts immobiliers, ce n’est pas tout le secteur de la titrisation qui est touché. Conscients de son impact dynamique sur les marchés financiers et donc sur l’économie américaine, le président de la Réserve fédérale Alan Greenspan a toujours refusé que la titrisation soit plus sévèrement encadrée. La finance globale et peut-être l’économie mondiale en paient aujourd’hui le prix.
Car si le secteur de la titrisation plonge, alors, il ne faudra pas se voiler la réalité. Cela signifie que la planète connaîtra une crise majeure, la plus grave depuis 1929. Des faillites bancaires ne seront pas à exclure et il est vraisemblable que des Etats auront à nationaliser certains établissements. En Algérie, cette perspective doit donc être sérieusement prise en considération et l’on doit se demander s’il est vraiment opportun de privatiser le Crédit populaire d’Algérie en pareil contexte.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 19 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
Sommes-nous à la veille d’une crise financière et économique comparable en ampleur et dégâts potentiels à celle de 1929 ? Il ne se passe pas une semaine sans que cette question soit posée par la presse, les économistes ou les politiciens. Il faut dire que la liste des mauvaises nouvelles ne cesse de s’allonger. Il y a d’abord l’économie américaine qui est très vraisemblablement entrée en récession comme l’indiquent plusieurs statistiques récentes. Le consommateur étasunien dépense moins, voit ses avoirs immobiliers perdre de leur valeur et se demande comment il va rembourser ses multiples crédits. Dans le même temps, les entreprises rechignent à investir ce qui n’est jamais bon signe pour l’avenir. Et l’on prétendra ce que l’on voudra, quand l’économie américaine éternue, c’est tôt ou tard, le monde entier, pays émergents compris, qui s’enrhumera.
Chute du dollar et interrogations sur les subprimes
Le second problème majeur est la chute continue du dollar. Conséquence de la faiblesse de l’économie américaine, la chute du billet vert atteint désormais 35% par rapport à l’euro depuis 2005. Ce repli, qui désormais inquiète la Maison-Blanche, est une menace réelle pour la stabilité du système financier international. En effet, si jamais cette glissade se poursuit, les détenteurs d’actifs libellés en dollars pourraient être tentés de céder leurs avoirs pour limiter leurs pertes. Un désengagement qui provoquera immanquablement une nouvelle chute de la devise américaine avec ce que cela signifie comme faillites en cascades aux Etats-Unis mais aussi dans tous les pays membres des zones dollars (Amérique latine, Proche-Orient et Golfe,…).
Le troisième nuage qui plane sur l’économie mondiale est bien entendu la crise des « subprimes ». La question à ce sujet est simple : quel est le montant exact des pertes des banques ? Il y a deux mois encore, on évoquait le chiffre, déjà impressionnant de 400 milliards de dollars. Aujourd’hui, il semble que cette estimation était sous-évaluée même si personne n’est capable d’avancer un chiffre définitif. Une chose est certaine, les banques n’ont pas tout dit et nombreuses sont celles qui risquent d’appeler les Banques centrales et leurs concurrentes à la rescousse. Il est vraisemblable aussi que chaque semaine apporte son lot de mauvaises découvertes y compris au sein des établissements en pointe en matière de gestion de risque.
La titrisation en question
Il faut dire que la finance mondiale a atteint un tel degré de sophistication qu’avoir une idée claire des engagements risqués d’une banque est quasiment impossible. Des techniques comme celle de la titrisation ont accentué le caractère abstrait de certains produits financiers et cela aggrave la tâche des banques mais aussi des autorités de régulation. Prenez par exemple un crédit à la consommation consenti par une banque à un ménage. Cette créance est ensuite titrisée, c'est-à-dire « découpée » en plusieurs titres échangés sur le marché financier. Problème, quand le crédit n’est pas remboursé, ces titres ne valent plus rien. C’est, pour simplifier, ce qui s’est passé pour les crédits immobiliers risqués (« subprime »).
Et l’on se demande aujourd’hui si, outre les prêts immobiliers, ce n’est pas tout le secteur de la titrisation qui est touché. Conscients de son impact dynamique sur les marchés financiers et donc sur l’économie américaine, le président de la Réserve fédérale Alan Greenspan a toujours refusé que la titrisation soit plus sévèrement encadrée. La finance globale et peut-être l’économie mondiale en paient aujourd’hui le prix.
Car si le secteur de la titrisation plonge, alors, il ne faudra pas se voiler la réalité. Cela signifie que la planète connaîtra une crise majeure, la plus grave depuis 1929. Des faillites bancaires ne seront pas à exclure et il est vraisemblable que des Etats auront à nationaliser certains établissements. En Algérie, cette perspective doit donc être sérieusement prise en considération et l’on doit se demander s’il est vraiment opportun de privatiser le Crédit populaire d’Algérie en pareil contexte.
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09. Le blues de l’industrie du disque
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 12 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est un chiffre qui en dit long sur l’état calamiteux du marché de la musique. Aux Etats-Unis, 48% des adolescents n’ont pas acheté le moindre CD musical en 2007 contre 38% l’année précédente. Cela signifie qu’une grande majorité d’entre eux ont encore eu recours au téléchargement illégal sur internet. Ce phénomène n’est pas près de s’estomper et de nombreux experts estiment que nous en sommes à l’aube de bouleversements majeurs qui pourraient bien faire disparaître l’industrie du disque. En effet, avec la montée en puissance de l’internet à haut débit et la progression incessante des capacités de stockage, il n’y a aucune raison pour qu’un CD légalement acheté ne se démultiplie pas en millions de copies pirates aux quatre coins de la planète.
Les dégâts du piratage sur internet
Un autre chiffre est encore plus parlant : il y aurait plus d’un milliard de titres téléchargés illégalement chaque mois dans le monde soit l’équivalent de plusieurs dizaines de milliards de dollars de pertes financières pour les éditeurs de musique. Ces derniers accusent donc le coup et paient ainsi le prix de leurs erreurs. La première, la plus ancienne, a été sans conteste l’arrogance de cette industrie qui continue encore d’imposer des produits à prix élevés alors qu’une grande partie du public s’en détourne et cherche la gratuité même si elle passe par des moyens illégaux. La seconde erreur réside dans le fait que les producteurs de musique ont longtemps négligé le piratage, estimant à tort qu’il n’était qu'une maladie infantile de l’internet. Lorsque les courbes de vente ont définitivement plongé et qu’il s’est avéré qu’un public de plus en plus jeune n’achetait plus de CD, il était déjà trop tard. Enfin, la réaction brutale (plaintes pénales, harcèlement juridique,…) de l’industrie du disque contre les pirates, parfois de jeunes adolescents, a été contreproductive et a abouti à l’effet inverse avec des internautes qui, du jour au lendemain, sont devenus solidaires avec leurs pairs poursuivis pour avoir téléchargé de la musique de manière illégale.
Pour autant, et malgré le peu de sympathie que l’on peut éprouver vis-à-vis de la traditionnelle âpreté au gain des majors de la musique, il faut tout de même rappeler que le piratage est à l’origine de la destruction de plusieurs milliers d’emplois. Par sa faute, des auteurs ont tout simplement été lâchés par leurs maisons de disque qui ne les considéraient plus comme rentables. Plus grave encore, il existe certains secteurs totalement sinistrés comme c’est le cas pour la musique classique. Le piratage mais aussi les compilations à bas prix, freinent le développement de cette branche particulière qui vit actuellement sur ses acquis et la masse conséquente de ses enregistrements passés. Mais cette profusion est trompeuse puisqu’elle cache une réalité inquiétante : il y a très peu de disques de musique classique de bonne qualité qui sont actuellement enregistrés et le déclin semble bel et bien entamé.
Une nouvelle stratégie
Les « majors » sont-elles condamnées ? Pas si sûr. Comme l’ont fait d’autres entreprises dans d’autres secteurs d’activité, elles s’adaptent en essayant de mettre au point de nouvelles stratégies. D’abord, elles ont décidé d’être plus ou moins tolérantes avec les jeunes pirates, en axant leur discours sur l’éthique et le respect du travail des artistes. Aux Etats-Unis, cela donne quelques résultats puisque les téléchargements légaux de musique sur internet ont progressé de 21% en 2007 par rapport à l’année précédente. Ensuite, l’industrie du disque est en train de se transformer en industrie du concert. Les artistes qui signent avec un label doivent le plus souvent s’engager à faire des tournées qui s’avèrent souvent très rentables au plan financier. Si un CD peut-être piraté, il faut débourser en moyenne 80 euros pour voir jouer un artiste en live. A terme, l’album de musique pourrait même devenir gratuit et ne constituer qu’un simple produit d’appel pour les concerts.
Le Quotidien d'Oran, mercredi 12 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est un chiffre qui en dit long sur l’état calamiteux du marché de la musique. Aux Etats-Unis, 48% des adolescents n’ont pas acheté le moindre CD musical en 2007 contre 38% l’année précédente. Cela signifie qu’une grande majorité d’entre eux ont encore eu recours au téléchargement illégal sur internet. Ce phénomène n’est pas près de s’estomper et de nombreux experts estiment que nous en sommes à l’aube de bouleversements majeurs qui pourraient bien faire disparaître l’industrie du disque. En effet, avec la montée en puissance de l’internet à haut débit et la progression incessante des capacités de stockage, il n’y a aucune raison pour qu’un CD légalement acheté ne se démultiplie pas en millions de copies pirates aux quatre coins de la planète.
Les dégâts du piratage sur internet
Un autre chiffre est encore plus parlant : il y aurait plus d’un milliard de titres téléchargés illégalement chaque mois dans le monde soit l’équivalent de plusieurs dizaines de milliards de dollars de pertes financières pour les éditeurs de musique. Ces derniers accusent donc le coup et paient ainsi le prix de leurs erreurs. La première, la plus ancienne, a été sans conteste l’arrogance de cette industrie qui continue encore d’imposer des produits à prix élevés alors qu’une grande partie du public s’en détourne et cherche la gratuité même si elle passe par des moyens illégaux. La seconde erreur réside dans le fait que les producteurs de musique ont longtemps négligé le piratage, estimant à tort qu’il n’était qu'une maladie infantile de l’internet. Lorsque les courbes de vente ont définitivement plongé et qu’il s’est avéré qu’un public de plus en plus jeune n’achetait plus de CD, il était déjà trop tard. Enfin, la réaction brutale (plaintes pénales, harcèlement juridique,…) de l’industrie du disque contre les pirates, parfois de jeunes adolescents, a été contreproductive et a abouti à l’effet inverse avec des internautes qui, du jour au lendemain, sont devenus solidaires avec leurs pairs poursuivis pour avoir téléchargé de la musique de manière illégale.
Pour autant, et malgré le peu de sympathie que l’on peut éprouver vis-à-vis de la traditionnelle âpreté au gain des majors de la musique, il faut tout de même rappeler que le piratage est à l’origine de la destruction de plusieurs milliers d’emplois. Par sa faute, des auteurs ont tout simplement été lâchés par leurs maisons de disque qui ne les considéraient plus comme rentables. Plus grave encore, il existe certains secteurs totalement sinistrés comme c’est le cas pour la musique classique. Le piratage mais aussi les compilations à bas prix, freinent le développement de cette branche particulière qui vit actuellement sur ses acquis et la masse conséquente de ses enregistrements passés. Mais cette profusion est trompeuse puisqu’elle cache une réalité inquiétante : il y a très peu de disques de musique classique de bonne qualité qui sont actuellement enregistrés et le déclin semble bel et bien entamé.
Une nouvelle stratégie
Les « majors » sont-elles condamnées ? Pas si sûr. Comme l’ont fait d’autres entreprises dans d’autres secteurs d’activité, elles s’adaptent en essayant de mettre au point de nouvelles stratégies. D’abord, elles ont décidé d’être plus ou moins tolérantes avec les jeunes pirates, en axant leur discours sur l’éthique et le respect du travail des artistes. Aux Etats-Unis, cela donne quelques résultats puisque les téléchargements légaux de musique sur internet ont progressé de 21% en 2007 par rapport à l’année précédente. Ensuite, l’industrie du disque est en train de se transformer en industrie du concert. Les artistes qui signent avec un label doivent le plus souvent s’engager à faire des tournées qui s’avèrent souvent très rentables au plan financier. Si un CD peut-être piraté, il faut débourser en moyenne 80 euros pour voir jouer un artiste en live. A terme, l’album de musique pourrait même devenir gratuit et ne constituer qu’un simple produit d’appel pour les concerts.
08. Unilever, acteur et révélateur de la mondialisation.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 05 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
La vie interne et la transformation continue des multinationales sont, sans conteste, une large source d’enseignements et peuvent même s’avérer bien plus instructives que nombre d’analyses géopolitiques. C’est le cas par exemple d’Unilever, ce géant de l’agroalimentaire et des produits de grande consommation dont chaque mouvement sur l’échiquier global ne passe jamais inaperçu. Il y a quelques jours, cette firme, présente sur les cinq continents, a annoncé que son conseil de direction ne comporterait plus de membre de nationalité britannique ou néerlandaise. L’annonce n’a rien d’anodin car c’est bien une page qui se tourne dans l’histoire de ce groupe dont les origines et la matrice sont anglo-hollandaise. En effet, c’est en 1930 que la société anglaise Lever – qui fabriquait alors des savons et des produits d’entretien – a fusionné avec Unie, qui, de son côté, fabriquait de la margarine aux Pays-Bas.
Internationalisation des dirigeants
Le fait qu’Unilever ne comptera plus parmi ses hauts dirigeants de membres ayant l’une de ses deux nationalités « originelles » confirme que les grandes multinationales deviennent peu à peu des transnationales, passant au-dessus des Etats et des drapeaux, et étant même capables – cela arrivera bien un jour - de s’acheter une terre pour en faire leur propre « pays ». Mais il n’y a pas que cette question de l’aspect hors-nationalité des grandes sociétés. Ce qu’il y a d’intéressant dans le cas Unilever, c’est que le nouveau conseil de direction comportera 7 membres, dont un français, trois américains et, surtout, deux indiens et un zimbabwéen. Voilà, représentée de manière concrète, une autre réalité de la mondialisation. Jusqu’à présent, on parlait beaucoup des cadres supérieurs qui passaient d’un continent à l’autre. Aujourd’hui, ceux sont les directions des grands groupes qui deviennent internationales. Il y a vingt ans, qui aurait pu prédire que l’un des patrons d’Unilever serait de nationalité indienne ? Et ce n’est qu’un début en attendant que Chinois, Vietnamiens ou Egyptiens ne rejoignent le cercle fermé des grands dirigeants d’entreprises globalisées.
Ces dernières sont-elles pour autant multiculturelles ? Le débat n’est pas tranché. Ce qui lie des Français, des Américains, des Indiens et un Zimbabwéen à la tête d’une grande entreprise comme Unilever, c’est avant tout le partage des mêmes conceptions de l’économie de marché et de la nécessité de rémunérer comme il se doit les actionnaires. Bref, la vision libérale de l’économie est le premier ciment qui peut unir ces hommes. Pour autant, même s’il a été éduqué dans les plus grandes écoles occidentales, un haut cadre indien n’aura jamais une vision exactement identique à celle de son homologue américain ou français. Du coup, la manière dont ces multinationales font cohabiter ces nationalités est donc à elle seule un vaste sujet d’étude dont la partie visible est le développement fulgurant des activités de conseil en environnement multiculturel.
Cap sur les pays émergents
L’autre annonce d’Unilever qui mérite d’être signalée, concerne sa décision de créer une grande division incluant non seulement l’Asie et l’Afrique mais aussi l’Europe de l’Est qui, jusque-là, était rattachée à la division d’Europe de l’Ouest. Cette réorganisation témoigne de la volonté d’Unilever d’axer ses efforts sur les pays émergents, là où les niveaux de consommation restent bien en deçà de ce qui existe dans les pays développés. Unilever n’est pas la seule transnationale à opérer ce basculement et cela promet de grandes batailles à coup de millions de dollars pour le contrôle des marchés émergents
Pour des pays qui tentent, vaille que vaille, de s’insérer dans le commerce international, c’est le cas par exemple du Maroc ou de la Tunisie, le mouvement d’Unilever démontre qu’il est temps pour eux de commencer à regarder vers l’Est et le Sud plutôt que de tout miser sur les marchés européens et nord-américains, qui sont certes les plus solvables mais aussi les plus saturés et les plus limités en matière de potentiel de développement. C’est ce qui explique, entre autre, pourquoi de nombreux pays du Sud tentent aujourd’hui de signer des accords de libre-échange entre eux.
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 05 mars 2008
Akram Belkaïd, Paris
La vie interne et la transformation continue des multinationales sont, sans conteste, une large source d’enseignements et peuvent même s’avérer bien plus instructives que nombre d’analyses géopolitiques. C’est le cas par exemple d’Unilever, ce géant de l’agroalimentaire et des produits de grande consommation dont chaque mouvement sur l’échiquier global ne passe jamais inaperçu. Il y a quelques jours, cette firme, présente sur les cinq continents, a annoncé que son conseil de direction ne comporterait plus de membre de nationalité britannique ou néerlandaise. L’annonce n’a rien d’anodin car c’est bien une page qui se tourne dans l’histoire de ce groupe dont les origines et la matrice sont anglo-hollandaise. En effet, c’est en 1930 que la société anglaise Lever – qui fabriquait alors des savons et des produits d’entretien – a fusionné avec Unie, qui, de son côté, fabriquait de la margarine aux Pays-Bas.
Internationalisation des dirigeants
Le fait qu’Unilever ne comptera plus parmi ses hauts dirigeants de membres ayant l’une de ses deux nationalités « originelles » confirme que les grandes multinationales deviennent peu à peu des transnationales, passant au-dessus des Etats et des drapeaux, et étant même capables – cela arrivera bien un jour - de s’acheter une terre pour en faire leur propre « pays ». Mais il n’y a pas que cette question de l’aspect hors-nationalité des grandes sociétés. Ce qu’il y a d’intéressant dans le cas Unilever, c’est que le nouveau conseil de direction comportera 7 membres, dont un français, trois américains et, surtout, deux indiens et un zimbabwéen. Voilà, représentée de manière concrète, une autre réalité de la mondialisation. Jusqu’à présent, on parlait beaucoup des cadres supérieurs qui passaient d’un continent à l’autre. Aujourd’hui, ceux sont les directions des grands groupes qui deviennent internationales. Il y a vingt ans, qui aurait pu prédire que l’un des patrons d’Unilever serait de nationalité indienne ? Et ce n’est qu’un début en attendant que Chinois, Vietnamiens ou Egyptiens ne rejoignent le cercle fermé des grands dirigeants d’entreprises globalisées.
Ces dernières sont-elles pour autant multiculturelles ? Le débat n’est pas tranché. Ce qui lie des Français, des Américains, des Indiens et un Zimbabwéen à la tête d’une grande entreprise comme Unilever, c’est avant tout le partage des mêmes conceptions de l’économie de marché et de la nécessité de rémunérer comme il se doit les actionnaires. Bref, la vision libérale de l’économie est le premier ciment qui peut unir ces hommes. Pour autant, même s’il a été éduqué dans les plus grandes écoles occidentales, un haut cadre indien n’aura jamais une vision exactement identique à celle de son homologue américain ou français. Du coup, la manière dont ces multinationales font cohabiter ces nationalités est donc à elle seule un vaste sujet d’étude dont la partie visible est le développement fulgurant des activités de conseil en environnement multiculturel.
Cap sur les pays émergents
L’autre annonce d’Unilever qui mérite d’être signalée, concerne sa décision de créer une grande division incluant non seulement l’Asie et l’Afrique mais aussi l’Europe de l’Est qui, jusque-là, était rattachée à la division d’Europe de l’Ouest. Cette réorganisation témoigne de la volonté d’Unilever d’axer ses efforts sur les pays émergents, là où les niveaux de consommation restent bien en deçà de ce qui existe dans les pays développés. Unilever n’est pas la seule transnationale à opérer ce basculement et cela promet de grandes batailles à coup de millions de dollars pour le contrôle des marchés émergents
Pour des pays qui tentent, vaille que vaille, de s’insérer dans le commerce international, c’est le cas par exemple du Maroc ou de la Tunisie, le mouvement d’Unilever démontre qu’il est temps pour eux de commencer à regarder vers l’Est et le Sud plutôt que de tout miser sur les marchés européens et nord-américains, qui sont certes les plus solvables mais aussi les plus saturés et les plus limités en matière de potentiel de développement. C’est ce qui explique, entre autre, pourquoi de nombreux pays du Sud tentent aujourd’hui de signer des accords de libre-échange entre eux.
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mercredi
07. Agflation
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 27 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
Le terme n’est pas nouveau – il a été utilisé au début des années 1970 – mais il commence à peine à entrer dans le langage commun. En contractant agriculture et inflation, il désigne la hausse brutale des prix des produits agricoles et alimentaires, un phénomène dont on parle désormais aux quatre coins de la planète avec tout ce que cela englobe comme tensions sociales et défis imposés aux gouvernements. A la fin de l’été dernier, la « grève des pâtes », lancée en Italie pour dénoncer la hausse des prix de cet aliment incontournable pour les Italiens n’a ainsi été qu’un maillon parmi tant d’autres dans la longue chaîne des protestas qui, de la Chine au Mexique, ont poussé des milliers de personnes à investir la rue pour manifester contre cette inflation d’un genre nouveau.
C’est le cas aussi en France où une récente enquête vient de mettre en exergue des hausses de prix stupéfiantes pour certains produits alimentaires comme les laitages ou les céréales (plus de 30% en quelques mois). Certes, pour cet exemple précis, il est difficile de savoir si le problème réside en amont, c'est-à-dire au niveau des producteurs ou alors en aval, c'est-à-dire au niveau des distributeurs ou des intermédiaires. Mais le plus important, c’est que ces hausses n’ont pu intervenir que parce qu’il existe bel et bien une tendance haussière des matières premières agricoles, phénomène qui encourage certains opérateurs économiques à profiter de l’aubaine.
Les explications à propos de l’agflation sont nombreuses et complémentaires. La première, est la plus logique mais aussi la plus inquiétante. Dans un monde globalisé, où la population de la planète ne cesse d’augmenter alors que les surfaces cultivées diminuent, il est normal, par effet mécanique, d’assister à la hausse des prix agricoles, la demande étant plus importante que l’offre. De plus, la mondialisation fait se diffuser et s’uniformiser les modes de consommation de manière plus rapide. Hier, la Chine et l’Inde, réussissaient à préserver leurs modèles d’alimentation traditionnelle. Aujourd’hui, ce n’est plus la cas : laitages, céréales voire même café et chocolat sont presque autant recherchés par leurs consommateurs qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Résultat, il existe aujourd’hui une compétition pour l’acquisition de produits alimentaires qui, sans être aussi féroce que celle existant pour le pétrole, est certainement appelée à s’exacerber.
La seconde explication réside dans les conséquences pour le moins néfastes des accords de libre-échange signés par des pays à vocation agricole. C’est le cas par exemple du Mexique, l’un des principaux producteurs mondiaux de maïs et dont les récoltes sont en chute libre parce que ses paysans ne peuvent pas lutter contre les importations de produits américains lesquels, signalons-le au passage, bénéficient de subventions huit fois plus élevées que celle que Mexico accorde à ses agriculteurs. Résultat, ces derniers remplacent leurs cultures de maïs ou de céréales par du pavot ou de la marijuana et c’est ainsi que le Mexique est en passe actuellement de devenir le premier producteur mondial de cette plante. Voilà comment la combinaison du libre-échange et le trafic de drogue contribuent à l’agflation en encourageant la disparition de cultures de produits alimentaires.
Enfin, la lutte contre le réchauffement climatique a parfois des mauvais côtés. La montée en puissance des biocarburants ou, pour être plus précis, des agrocarburants est aussi responsable de l’agflation. En favorisant le marché du carburant « propre », certains agriculteurs ont fait le choix de l’automobile contre celui de l’alimentation de l’être humain. Il y a d’ailleurs là un véritable problème éthique qui n’est pas suffisamment abordé : comment peut-on privilégier la voiture au détriment de l’alimentation dans le monde ? Conséquence : dans les pays les plus pauvres, le Programme alimentaire mondial de l'ONU, le PAM, n'arrive plus à répondre à la demande. En vendant leur production à des fabricants d’éthanol, les agriculteurs n’avivent pas simplement l’agflation, ils contribuent à aggraver le drame de la faim dans le monde. C’est l’un des scandales majeurs de notre monde globalisé.
Le Quotidien d'Oran, mercredi 27 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
Le terme n’est pas nouveau – il a été utilisé au début des années 1970 – mais il commence à peine à entrer dans le langage commun. En contractant agriculture et inflation, il désigne la hausse brutale des prix des produits agricoles et alimentaires, un phénomène dont on parle désormais aux quatre coins de la planète avec tout ce que cela englobe comme tensions sociales et défis imposés aux gouvernements. A la fin de l’été dernier, la « grève des pâtes », lancée en Italie pour dénoncer la hausse des prix de cet aliment incontournable pour les Italiens n’a ainsi été qu’un maillon parmi tant d’autres dans la longue chaîne des protestas qui, de la Chine au Mexique, ont poussé des milliers de personnes à investir la rue pour manifester contre cette inflation d’un genre nouveau.
C’est le cas aussi en France où une récente enquête vient de mettre en exergue des hausses de prix stupéfiantes pour certains produits alimentaires comme les laitages ou les céréales (plus de 30% en quelques mois). Certes, pour cet exemple précis, il est difficile de savoir si le problème réside en amont, c'est-à-dire au niveau des producteurs ou alors en aval, c'est-à-dire au niveau des distributeurs ou des intermédiaires. Mais le plus important, c’est que ces hausses n’ont pu intervenir que parce qu’il existe bel et bien une tendance haussière des matières premières agricoles, phénomène qui encourage certains opérateurs économiques à profiter de l’aubaine.
Les explications à propos de l’agflation sont nombreuses et complémentaires. La première, est la plus logique mais aussi la plus inquiétante. Dans un monde globalisé, où la population de la planète ne cesse d’augmenter alors que les surfaces cultivées diminuent, il est normal, par effet mécanique, d’assister à la hausse des prix agricoles, la demande étant plus importante que l’offre. De plus, la mondialisation fait se diffuser et s’uniformiser les modes de consommation de manière plus rapide. Hier, la Chine et l’Inde, réussissaient à préserver leurs modèles d’alimentation traditionnelle. Aujourd’hui, ce n’est plus la cas : laitages, céréales voire même café et chocolat sont presque autant recherchés par leurs consommateurs qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Résultat, il existe aujourd’hui une compétition pour l’acquisition de produits alimentaires qui, sans être aussi féroce que celle existant pour le pétrole, est certainement appelée à s’exacerber.
La seconde explication réside dans les conséquences pour le moins néfastes des accords de libre-échange signés par des pays à vocation agricole. C’est le cas par exemple du Mexique, l’un des principaux producteurs mondiaux de maïs et dont les récoltes sont en chute libre parce que ses paysans ne peuvent pas lutter contre les importations de produits américains lesquels, signalons-le au passage, bénéficient de subventions huit fois plus élevées que celle que Mexico accorde à ses agriculteurs. Résultat, ces derniers remplacent leurs cultures de maïs ou de céréales par du pavot ou de la marijuana et c’est ainsi que le Mexique est en passe actuellement de devenir le premier producteur mondial de cette plante. Voilà comment la combinaison du libre-échange et le trafic de drogue contribuent à l’agflation en encourageant la disparition de cultures de produits alimentaires.
Enfin, la lutte contre le réchauffement climatique a parfois des mauvais côtés. La montée en puissance des biocarburants ou, pour être plus précis, des agrocarburants est aussi responsable de l’agflation. En favorisant le marché du carburant « propre », certains agriculteurs ont fait le choix de l’automobile contre celui de l’alimentation de l’être humain. Il y a d’ailleurs là un véritable problème éthique qui n’est pas suffisamment abordé : comment peut-on privilégier la voiture au détriment de l’alimentation dans le monde ? Conséquence : dans les pays les plus pauvres, le Programme alimentaire mondial de l'ONU, le PAM, n'arrive plus à répondre à la demande. En vendant leur production à des fabricants d’éthanol, les agriculteurs n’avivent pas simplement l’agflation, ils contribuent à aggraver le drame de la faim dans le monde. C’est l’un des scandales majeurs de notre monde globalisé.
06. Pressions sur les fonds souverains arabes
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 20 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est donc l’Australie qui, la première, vient d’ouvrir le feu sur les fonds souverains qui persisteraient à rester sourds aux critiques et mises en garde les concernant à propos de leur opacité. En effet, Canberra vient d’édicter six règles destinées à «améliorer la transparence» des investissements étrangers réalisés sur son sol. L’un des points les plus importants concerne le fait que les autorités australiennes examineront de près le niveau d’autonomie du fonds souverain vis-à-vis du gouvernement de son pays. On comprend le souci des dirigeants australiens. S’ils ne refusent aucun investissement étranger, ils souhaitent tout de même avoir un droit de regard sur les entrées de capitaux qui seraient motivées par une décision politique extérieure.
Cette exigence résume à elle seule le grand bras de fer qui se profile entre, d’une part, les nations industrialisées et, de l’autre, les fonds souverains arabes, russe et asiatiques. Les premières aimeraient que les seconds soient plus transparents, rendent publics leurs avoirs, détaillent leurs stratégies d’investissement et ne taisent pas leurs opérations. Autant de «demandes» que les fonds souverains considèrent comme une atteinte à leur liberté d’autant que d’autres investisseurs, à commencer par les fonds spéculatifs ou «hedge funds», ne se voient imposer aucune contrainte. De même, ne comprennent-ils pas cette soudaine levée de boucliers alors qu’ils existent, pour certains d’entre eux, depuis plusieurs décennies.
En fait, c’est bien parce que les fonds souverains ont changé qu’ils inquiètent. Jusqu’à ces dernières années, ils investissaient leurs avoirs dans des placements sûrs et peu risqués à l’image des bons du Trésor américains voire européens (notamment le «bund» allemand). Mais leur stratégie a quelque peu changé depuis le début du siècle. Ces fonds n’hésitent plus à faire leurs emplettes sur des segments un peu plus risqués mais a priori plus rémunérateurs comme le marché boursier ou celui des changes. Deux environnements jugés stratégiques par les nations industrialisées. Pour ce qui est des Bourses, la crainte est que des fonds souverains opèrent un contrôle rampant des fleurons des économies industrialisées. Une telle peur s’est par exemple matérialisée lorsque le fonds souverain d’Abu Dhabi (Abu Dhabi Investment Authority ou Adia) a déboursé plus de 7 milliards de dollars pour acquérir 4,9% du capital de Citigroup, la première banque américaine. A l’époque, de nombreuses informations ont fait état du fait que Adia aurait souhaité prendre une part plus grande dans «Citi» mais qu’il a renoncé parce que toute acquisition de plus 5% du capital de la banque aurait permis à la Securities and Exchange Commission (SEC, le gendarme boursier américain) de mettre son nez dans la transaction.
Face aux critiques, les fonds souverains arabes ont des réponses quelque peu différentes. Celui du Koweït, l’un des plus anciens au monde puisqu’il a été créé en 1953, met en avant sa relative transparence et son fonctionnement autonome vis-à-vis des autorités politiques. Il faut dire que ce fonds a connu une cuisante expérience lorsqu’il avait tenté de prendre le contrôle du pétrolier britannique BP dans les années 1990 avant de faire machine arrière face au refus de Margaret Tatcher d’accepter une telle opération. Quant aux autres fonds, qu’il s’agisse de celui d’Abu Dhabi, de Dubaï ou du Qatar, ils ne peuvent guère se targuer de leur transparence et encore moins d’une autonomie par rapport aux familles régnantes. En effet, il est toujours difficile de faire la part des choses entre les avoirs du fonds et ceux des dirigeants.
Du coup, ces fonds avancent un autre argument assez convaincant. Ils répètent à l’envi que leurs investissements sont destinés à préparer l’après-pétrole et qu’il ne s’agit pour eux en aucune façon de prendre le contrôle des économies occidentales. Une manière intelligente de se différencier d’autres fonds, notamment russe et chinois, qui eux ne cachent guère leur volonté de s’imposer en tant que bras armés de leurs gouvernements.
Le Quotidien d'Oran, mercredi 20 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
C’est donc l’Australie qui, la première, vient d’ouvrir le feu sur les fonds souverains qui persisteraient à rester sourds aux critiques et mises en garde les concernant à propos de leur opacité. En effet, Canberra vient d’édicter six règles destinées à «améliorer la transparence» des investissements étrangers réalisés sur son sol. L’un des points les plus importants concerne le fait que les autorités australiennes examineront de près le niveau d’autonomie du fonds souverain vis-à-vis du gouvernement de son pays. On comprend le souci des dirigeants australiens. S’ils ne refusent aucun investissement étranger, ils souhaitent tout de même avoir un droit de regard sur les entrées de capitaux qui seraient motivées par une décision politique extérieure.
Cette exigence résume à elle seule le grand bras de fer qui se profile entre, d’une part, les nations industrialisées et, de l’autre, les fonds souverains arabes, russe et asiatiques. Les premières aimeraient que les seconds soient plus transparents, rendent publics leurs avoirs, détaillent leurs stratégies d’investissement et ne taisent pas leurs opérations. Autant de «demandes» que les fonds souverains considèrent comme une atteinte à leur liberté d’autant que d’autres investisseurs, à commencer par les fonds spéculatifs ou «hedge funds», ne se voient imposer aucune contrainte. De même, ne comprennent-ils pas cette soudaine levée de boucliers alors qu’ils existent, pour certains d’entre eux, depuis plusieurs décennies.
En fait, c’est bien parce que les fonds souverains ont changé qu’ils inquiètent. Jusqu’à ces dernières années, ils investissaient leurs avoirs dans des placements sûrs et peu risqués à l’image des bons du Trésor américains voire européens (notamment le «bund» allemand). Mais leur stratégie a quelque peu changé depuis le début du siècle. Ces fonds n’hésitent plus à faire leurs emplettes sur des segments un peu plus risqués mais a priori plus rémunérateurs comme le marché boursier ou celui des changes. Deux environnements jugés stratégiques par les nations industrialisées. Pour ce qui est des Bourses, la crainte est que des fonds souverains opèrent un contrôle rampant des fleurons des économies industrialisées. Une telle peur s’est par exemple matérialisée lorsque le fonds souverain d’Abu Dhabi (Abu Dhabi Investment Authority ou Adia) a déboursé plus de 7 milliards de dollars pour acquérir 4,9% du capital de Citigroup, la première banque américaine. A l’époque, de nombreuses informations ont fait état du fait que Adia aurait souhaité prendre une part plus grande dans «Citi» mais qu’il a renoncé parce que toute acquisition de plus 5% du capital de la banque aurait permis à la Securities and Exchange Commission (SEC, le gendarme boursier américain) de mettre son nez dans la transaction.
Face aux critiques, les fonds souverains arabes ont des réponses quelque peu différentes. Celui du Koweït, l’un des plus anciens au monde puisqu’il a été créé en 1953, met en avant sa relative transparence et son fonctionnement autonome vis-à-vis des autorités politiques. Il faut dire que ce fonds a connu une cuisante expérience lorsqu’il avait tenté de prendre le contrôle du pétrolier britannique BP dans les années 1990 avant de faire machine arrière face au refus de Margaret Tatcher d’accepter une telle opération. Quant aux autres fonds, qu’il s’agisse de celui d’Abu Dhabi, de Dubaï ou du Qatar, ils ne peuvent guère se targuer de leur transparence et encore moins d’une autonomie par rapport aux familles régnantes. En effet, il est toujours difficile de faire la part des choses entre les avoirs du fonds et ceux des dirigeants.
Du coup, ces fonds avancent un autre argument assez convaincant. Ils répètent à l’envi que leurs investissements sont destinés à préparer l’après-pétrole et qu’il ne s’agit pour eux en aucune façon de prendre le contrôle des économies occidentales. Une manière intelligente de se différencier d’autres fonds, notamment russe et chinois, qui eux ne cachent guère leur volonté de s’imposer en tant que bras armés de leurs gouvernements.
05. Le marché devant, les institutions internationales loin derrière
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 13 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
Les crises financières se suivent et, finalement, se ressemblent en cela qu'elles sont toujours suivies par les mêmes promesses d'ivrognes. Prenez la récente réunion du G7. Comme il fallait s'y attendre, les grands de ce monde (cette notion étant de plus en plus discutable car des pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil auraient aussi leur place dans ce club fermé) nous ont encore gratifiés de déclarations lénifiantes sur la nécessité de mettre en place des mécanismes préventifs pour la détection des crises. Reprenez les communiqués qui avaient suivi l'explosion de la bulle internet ou, plus loin encore, ceux qui avaient été émis après la bourrasque asiatique de 1997, et vous trouverez les mêmes mots, les mêmes formules volontaristes. Et puisque l'on parle de la crise asiatique, qui se souvient de la création, à l'époque, du Forum de stabilité financière, un « machin » qui regroupe des banquiers centraux et dont on entend parler de temps à autre ? Et c'est ce Forum que le G7 vient de ressortir en l'engageant à travailler « de manière plus rapprochée » avec le Fonds monétaire international (FMI) afin d'identifier « les vulnérabilités » du système financier et « d'améliorer les mécanismes d'alerte précoce. » Et patati, et patata...
Personne ne contestera que ni le Forum de stabilité financière et encore moins le FMI n'ont vu venir la crise du crédit hypothécaire américain. Le premier peut se prévaloir de quelques excuses dont celle qui consiste à déplorer son manque de moyens financiers. L'affaire est un peu plus compliquée pour le Fonds monétaire dont le directeur général, Dominique Strauss-Kahn, affirme que cette institution a bel et bien vu venir la crise des « subprime » mais qu'elle n'a peut-être pas été suffisamment audible. C'est peut-être vrai car, concernant le FMI, il n'est pas idiot de se demander si quelqu'un l'écoute encore. En mal de pays débiteurs, discrédité par la crise asiatique et incapable de se réformer, le FMI a perdu de son aura et cela entame sa crédibilité vis-à-vis des marchés financiers.
En réalité, il faudrait appeler un chat un chat et convenir que les institutions internationales comme les gouvernements ont perdu l'ascendant sur ce qu'elles ont contribué à créer. En un mot, le politique comme les autorités de supervision sont à la traîne derrière un marché débridé qui, hier encore avait déjà une longueur d'avance mais qui aujourd'hui en a trois ou quatre. Malgré leurs beaux discours, les fonctionnaires du FMI comme les membres du Forum de stabilité financière, voire comme les banquiers centraux, en sont réduits à attendre que cela se passe pour réagir. Et après la crise, il leur est toujours facile d'édicter quelques lois, lesquelles seront de toutes les façons inefficaces puisqu'elles ne remettront pas en cause la sacro-sainte dérégulation des marchés.
Ce qui se passe actuellement dans le secteur bancaire illustre bien le manque d'ascendant des institutions internationales sur le marché. Quand le G7 fait mine de s'énerver en exigeant des banques qu'elles publient toutes leurs pertes dues aux « subprime », on réalise soudain que quelque chose va mal car, naïvement, on pourrait penser que les règles comptables et prudentielles commandent à tout établissement bancaire de publier ses comptes sans attendre les supplications du G7. Le fait même que l'on ne sache pas si le total de ces pertes, pour l'industrie bancaire, est de 120 milliards de dollars ou de 400 milliards de dollars, montre bien à quel point le système est dévoyé.
En attendant, pour reprendre les propos de Mario Draghi, le gouverneur de la Banque d'Italie et le président du Forum de stabilité financière, les quinze prochains jours vont être cruciaux puisque c'est durant ce laps de temps que de nombreuses banques vont publier leurs comptes certifiés pour l'année 2007. Et dans cette affaire, qu'il s'agisse de la Société Générale, d'UBS ou d'autres, le pire est bien possible...
Le Quotidien d'Oran, mercredi 13 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
Les crises financières se suivent et, finalement, se ressemblent en cela qu'elles sont toujours suivies par les mêmes promesses d'ivrognes. Prenez la récente réunion du G7. Comme il fallait s'y attendre, les grands de ce monde (cette notion étant de plus en plus discutable car des pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil auraient aussi leur place dans ce club fermé) nous ont encore gratifiés de déclarations lénifiantes sur la nécessité de mettre en place des mécanismes préventifs pour la détection des crises. Reprenez les communiqués qui avaient suivi l'explosion de la bulle internet ou, plus loin encore, ceux qui avaient été émis après la bourrasque asiatique de 1997, et vous trouverez les mêmes mots, les mêmes formules volontaristes. Et puisque l'on parle de la crise asiatique, qui se souvient de la création, à l'époque, du Forum de stabilité financière, un « machin » qui regroupe des banquiers centraux et dont on entend parler de temps à autre ? Et c'est ce Forum que le G7 vient de ressortir en l'engageant à travailler « de manière plus rapprochée » avec le Fonds monétaire international (FMI) afin d'identifier « les vulnérabilités » du système financier et « d'améliorer les mécanismes d'alerte précoce. » Et patati, et patata...
Personne ne contestera que ni le Forum de stabilité financière et encore moins le FMI n'ont vu venir la crise du crédit hypothécaire américain. Le premier peut se prévaloir de quelques excuses dont celle qui consiste à déplorer son manque de moyens financiers. L'affaire est un peu plus compliquée pour le Fonds monétaire dont le directeur général, Dominique Strauss-Kahn, affirme que cette institution a bel et bien vu venir la crise des « subprime » mais qu'elle n'a peut-être pas été suffisamment audible. C'est peut-être vrai car, concernant le FMI, il n'est pas idiot de se demander si quelqu'un l'écoute encore. En mal de pays débiteurs, discrédité par la crise asiatique et incapable de se réformer, le FMI a perdu de son aura et cela entame sa crédibilité vis-à-vis des marchés financiers.
En réalité, il faudrait appeler un chat un chat et convenir que les institutions internationales comme les gouvernements ont perdu l'ascendant sur ce qu'elles ont contribué à créer. En un mot, le politique comme les autorités de supervision sont à la traîne derrière un marché débridé qui, hier encore avait déjà une longueur d'avance mais qui aujourd'hui en a trois ou quatre. Malgré leurs beaux discours, les fonctionnaires du FMI comme les membres du Forum de stabilité financière, voire comme les banquiers centraux, en sont réduits à attendre que cela se passe pour réagir. Et après la crise, il leur est toujours facile d'édicter quelques lois, lesquelles seront de toutes les façons inefficaces puisqu'elles ne remettront pas en cause la sacro-sainte dérégulation des marchés.
Ce qui se passe actuellement dans le secteur bancaire illustre bien le manque d'ascendant des institutions internationales sur le marché. Quand le G7 fait mine de s'énerver en exigeant des banques qu'elles publient toutes leurs pertes dues aux « subprime », on réalise soudain que quelque chose va mal car, naïvement, on pourrait penser que les règles comptables et prudentielles commandent à tout établissement bancaire de publier ses comptes sans attendre les supplications du G7. Le fait même que l'on ne sache pas si le total de ces pertes, pour l'industrie bancaire, est de 120 milliards de dollars ou de 400 milliards de dollars, montre bien à quel point le système est dévoyé.
En attendant, pour reprendre les propos de Mario Draghi, le gouverneur de la Banque d'Italie et le président du Forum de stabilité financière, les quinze prochains jours vont être cruciaux puisque c'est durant ce laps de temps que de nombreuses banques vont publier leurs comptes certifiés pour l'année 2007. Et dans cette affaire, qu'il s'agisse de la Société Générale, d'UBS ou d'autres, le pire est bien possible...
04. Les pays du Golfe, l’inflation forte et le dollar faible
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 6 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
Dans les pays du Golfe, il n'y a pas que les torchères qui flambent... Depuis deux ans, les prix s'emballent et les gouvernements s'interrogent sur la manière de juguler l’inflation. Cette dernière a ainsi provoqué les protestations des Oulémas en Arabie Saoudite, obligé le Sultan d’Oman à réclamer des explications à son gouvernement et poussé le gouvernement fédéral des Emirats arabes unis à augmenter le salaire mensuel de ses fonctionnaires de 70% à partir du 1er janvier dernier. Il faut dire que les chiffres sont impressionnants.
Alors qu'elle oscillait entre 2 et 3% au début des années 2000, la hausse du coût de la vie a atteint un record historique au Qatar en 2007 avec un taux de +12,2% (contre +6,8% en 2004). La situation est identique aux Emirats où la hausse des prix a été de +10% en 2007. Là aussi, ce chiffre est un record. En Arabie Saoudite, l'inflation en 2007 a dépassé les 6% soit un peu moins que dans le Sultanat d'Oman (7%).
Les causes et la manière de résoudre ce problème inflationniste font l'objet d'un véritable débat au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Lorsque des économies sont en plein boom, comme c’est le cas dans la région, il est normal que les prix augmentent. C'est d'autant plus vrai que, dans le Golfe, les hydrocarbures ne sont plus les seuls moteurs de la croissance et que l'industrie, la construction et le tourisme alimentent eux aussi la surchauffe. Pour autant, ceci n’explique pas totalement l’aggravation de la situation sur le front des prix.
D’où vient donc cette inflation ? Elle est le résultat d’un système et d’une conjoncture. Le système se matérialise par le lien fixe – on dit aussi un « peg » - qui existe entre six des sept monnaies du Golfe et le dollar américain. Seul le Koweït, qui a supprimé le peg avec le billet vert en 2007, fixe la valeur de sa monnaie en fonction d’un panier de devises (où le dollar garde toutefois une part prépondérante estimée à 70%). La conjoncture se traduit quant à elle par la chute continue du dollar.
Le mécanisme est simple. Quand le dollar s’affaiblit, les monnaies du Golfe s’affaiblissent automatiquement. Et comme les pays de la région sont de nets importateurs, notamment de produits alimentaires, cela signifie qu’ils importent de l’inflation. En effet, avoir une monnaie faible est idéal pour un exportateur – qui est ainsi compétitif sur les marchés mondiaux – mais c’est un gros souci pour un pays qui importe ses besoins de l’étranger. Dans le cas des pays du Golfe, la parade paraît évidente. Il suffirait que leurs Banques centrales et ministères des finances décident de modifier ou de supprimer le taux fixe qui lie leurs devises au dollar afin de les rendre plus fortes (selon les calculs de Merrill Lynch, le dirham des Emirats serait par exemple 30% sous-évalué par rapport au billet vert). De fait, rendre la monnaie plus forte revient à mieux se protéger contre l’inflation (l’hyperinflation qui a traumatisé l’Allemagne au début du XX° siècle explique pourquoi ce pays et ses institutions financières défendent âprement l’euro fort comme ils défendaient hier le mark fort).
Mais, contrairement au Koweït, les autres monarchies du Golfe hésitent à franchir le pas de la réévaluation. Trois raisons majeures expliquent cette réticence. En premier lieu, il y a la volonté, pour des pays alliés des Etats-Unis, de ne pas provoquer un effondrement plus marqué de la devise américaine. Ensuite, réévaluer sa monnaie vis-à-vis du dollar, revient, pour Ryadh, Abou Dhabi ou Doha à diminuer la valeur de leurs propres recettes pétrolières et, surtout, de leurs avoirs financiers qui sont libellés en billets verts. On s’en doute, faire fondre la valeur de son compte en banque pour lutter contre l’inflation n’est pas une décision aisée. Enfin, le « peg » entre rial, dirham, dinar, d’une part et dollar, d’autre part, est souvent présenté comme un gage de crédibilité qui évite les attaques spéculatives contre les monnaies du Golfe.
On le voit, le dilemme est important mais face à une inflation que rien ne semble contenir, 2008 pourrait bien voir l’Arabie Saoudite, les Emirats, Bahreïn, le Qatar et Oman décider, de manière conjointe ou non, une réévaluation, même modeste, de leurs monnaies.
Le Quotidien d'Oran, mercredi 6 février 2008
Akram Belkaïd, Paris
Dans les pays du Golfe, il n'y a pas que les torchères qui flambent... Depuis deux ans, les prix s'emballent et les gouvernements s'interrogent sur la manière de juguler l’inflation. Cette dernière a ainsi provoqué les protestations des Oulémas en Arabie Saoudite, obligé le Sultan d’Oman à réclamer des explications à son gouvernement et poussé le gouvernement fédéral des Emirats arabes unis à augmenter le salaire mensuel de ses fonctionnaires de 70% à partir du 1er janvier dernier. Il faut dire que les chiffres sont impressionnants.
Alors qu'elle oscillait entre 2 et 3% au début des années 2000, la hausse du coût de la vie a atteint un record historique au Qatar en 2007 avec un taux de +12,2% (contre +6,8% en 2004). La situation est identique aux Emirats où la hausse des prix a été de +10% en 2007. Là aussi, ce chiffre est un record. En Arabie Saoudite, l'inflation en 2007 a dépassé les 6% soit un peu moins que dans le Sultanat d'Oman (7%).
Les causes et la manière de résoudre ce problème inflationniste font l'objet d'un véritable débat au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Lorsque des économies sont en plein boom, comme c’est le cas dans la région, il est normal que les prix augmentent. C'est d'autant plus vrai que, dans le Golfe, les hydrocarbures ne sont plus les seuls moteurs de la croissance et que l'industrie, la construction et le tourisme alimentent eux aussi la surchauffe. Pour autant, ceci n’explique pas totalement l’aggravation de la situation sur le front des prix.
D’où vient donc cette inflation ? Elle est le résultat d’un système et d’une conjoncture. Le système se matérialise par le lien fixe – on dit aussi un « peg » - qui existe entre six des sept monnaies du Golfe et le dollar américain. Seul le Koweït, qui a supprimé le peg avec le billet vert en 2007, fixe la valeur de sa monnaie en fonction d’un panier de devises (où le dollar garde toutefois une part prépondérante estimée à 70%). La conjoncture se traduit quant à elle par la chute continue du dollar.
Le mécanisme est simple. Quand le dollar s’affaiblit, les monnaies du Golfe s’affaiblissent automatiquement. Et comme les pays de la région sont de nets importateurs, notamment de produits alimentaires, cela signifie qu’ils importent de l’inflation. En effet, avoir une monnaie faible est idéal pour un exportateur – qui est ainsi compétitif sur les marchés mondiaux – mais c’est un gros souci pour un pays qui importe ses besoins de l’étranger. Dans le cas des pays du Golfe, la parade paraît évidente. Il suffirait que leurs Banques centrales et ministères des finances décident de modifier ou de supprimer le taux fixe qui lie leurs devises au dollar afin de les rendre plus fortes (selon les calculs de Merrill Lynch, le dirham des Emirats serait par exemple 30% sous-évalué par rapport au billet vert). De fait, rendre la monnaie plus forte revient à mieux se protéger contre l’inflation (l’hyperinflation qui a traumatisé l’Allemagne au début du XX° siècle explique pourquoi ce pays et ses institutions financières défendent âprement l’euro fort comme ils défendaient hier le mark fort).
Mais, contrairement au Koweït, les autres monarchies du Golfe hésitent à franchir le pas de la réévaluation. Trois raisons majeures expliquent cette réticence. En premier lieu, il y a la volonté, pour des pays alliés des Etats-Unis, de ne pas provoquer un effondrement plus marqué de la devise américaine. Ensuite, réévaluer sa monnaie vis-à-vis du dollar, revient, pour Ryadh, Abou Dhabi ou Doha à diminuer la valeur de leurs propres recettes pétrolières et, surtout, de leurs avoirs financiers qui sont libellés en billets verts. On s’en doute, faire fondre la valeur de son compte en banque pour lutter contre l’inflation n’est pas une décision aisée. Enfin, le « peg » entre rial, dirham, dinar, d’une part et dollar, d’autre part, est souvent présenté comme un gage de crédibilité qui évite les attaques spéculatives contre les monnaies du Golfe.
On le voit, le dilemme est important mais face à une inflation que rien ne semble contenir, 2008 pourrait bien voir l’Arabie Saoudite, les Emirats, Bahreïn, le Qatar et Oman décider, de manière conjointe ou non, une réévaluation, même modeste, de leurs monnaies.
mardi
03. Récession américaine et nouvel ordre économique mondial
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 janvier 2008
Akram Belkaïd, Paris
Les statistiques se suivent et se ressemblent presque toutes : l’économie américaine est en route pour la récession, certains économistes affirmant même qu’elle y est déjà entrée depuis quelques mois. Un secteur immobilier malade, des ménages qui commencent à réduire leurs dépenses de consommation, des marchés financiers qui s’affolent : un tel cocktail ne pouvait que déclencher ce retournement de conjoncture qui, concrètement, se caractérise par une production de richesses moins importante. Du coup, la sempiternelle question revient sur toutes les lèvres : puisque l’Amérique éternue, le reste du monde va-t-il s’enrhumer ? Quoique l’on pense des Etats-Unis, la question est légitime car l’économie de ce pays, avec près de 14.000 milliards de dollars de Produit intérieur brut (PIB), est la première de la planète devant celles du Japon, de la Chine et de l’Allemagne.
En étant le client du monde entier, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Asie ou des pays d’Amérique latine, les Etats-Unis ont un effet d’entraînement considérable sur la machine économique globale. Que la demande américaine vienne à baisser et de nombreux pays subiront le choc en retour avec le risque d’entrer, eux aussi, en récession. Mais, pour autant, la possibilité d’une contamination est âprement discutée. Sans nier l’importance de l’économie étasunienne, il existe des experts qui pensent que le monde peut s’adapter à sa faiblesse voire même à continuer à bien fonctionner sans dépendre d’elle. C’est la thèse du découplage. Elle n’est pas nouvelle et émerge à chaque fois que les Etats-Unis connaissent un trou d’air. Mais cette fois-ci, assurent ceux qui la défendent, l’environnement est totalement différent.
En 2001, date de la dernière récession américaine, les pays émergents tels que le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine (les fameux BRIC selon l’acronyme élaboré par Goldman Sachs pour suivre l’évolution de la mondialisation et des pays émergents) n’avaient pas atteint le niveau de développement qui les caractérise aujourd’hui. Et encore, il convient de rappeler que la récession américaine de 2001 n’a duré que deux trimestres ce qui oblige à revenir à 1991 pour retrouver trace d’un repli durable de l’activité économique aux Etats-Unis. Un repli qui avait permis à Bill Clinton de remporter la présidentielle de 1992 face à Bush père grâce au fameux slogan «it’s the economy, stupid ! ».
En 1991, internet en était à ses balbutiements, la Russie s’effondrait, la Chine reprenait discrètement sa place sur l’échiquier mondial après les massacres de Tian’anmen de 1989. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Les pays émergents commercent de plus en plus entre eux ou avec l’Europe. L’Allemagne, championne du monde des exportateurs avec 200 milliards de dollars d’excédent commercial en 2007 a autant de débouchés commerciaux en Asie que sur le Vieux Continent ou aux Etats-Unis. Bref, la théorie du découplage n’est pas farfelue même s’il faut garder à l’esprit qu’une longue récession aux Etats-Unis aura des conséquences négatives sur toute la planète.
Mais si ce découplage se vérifie dans les prochains mois (à supposer que la récession américaine ait bien lieu, ce qui reste encore à prouver…), cela pourrait marquer l’émergence d’un nouvel ordre économique mondial et démontrer que le centre de gravité économique de la planète est en train de se déplacer vers l’Est. Peut-on dès lors affirmer, comme le fait l’hebdomadaire Newsweek, que « l’Amérique sera alors entrée en déclin » ? Peut-être pas mais il faut d’ores et déjà scruter avec soin les statistiques et études comparatives. Et, déjà, l’une d’elles mérite réflexion. Selon le McKinsey Global Institute, un cercle de réflexion (think tank) dépendant de la firme de conseil, le total des actifs financiers est désormais plus important en Europe qu’aux Etats-Unis ce qui n’était pas encore le cas en 2006 où les marchés américains détenaient 56.000 milliards de dollars contre 53.000 milliards pour leurs homologues européens, britanniques compris. C’est peut-être là le premier indice annonciateur de la perte de vitesse de l’Amérique par rapport à ses concurrents.
Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 janvier 2008
Akram Belkaïd, Paris
Les statistiques se suivent et se ressemblent presque toutes : l’économie américaine est en route pour la récession, certains économistes affirmant même qu’elle y est déjà entrée depuis quelques mois. Un secteur immobilier malade, des ménages qui commencent à réduire leurs dépenses de consommation, des marchés financiers qui s’affolent : un tel cocktail ne pouvait que déclencher ce retournement de conjoncture qui, concrètement, se caractérise par une production de richesses moins importante. Du coup, la sempiternelle question revient sur toutes les lèvres : puisque l’Amérique éternue, le reste du monde va-t-il s’enrhumer ? Quoique l’on pense des Etats-Unis, la question est légitime car l’économie de ce pays, avec près de 14.000 milliards de dollars de Produit intérieur brut (PIB), est la première de la planète devant celles du Japon, de la Chine et de l’Allemagne.
En étant le client du monde entier, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Asie ou des pays d’Amérique latine, les Etats-Unis ont un effet d’entraînement considérable sur la machine économique globale. Que la demande américaine vienne à baisser et de nombreux pays subiront le choc en retour avec le risque d’entrer, eux aussi, en récession. Mais, pour autant, la possibilité d’une contamination est âprement discutée. Sans nier l’importance de l’économie étasunienne, il existe des experts qui pensent que le monde peut s’adapter à sa faiblesse voire même à continuer à bien fonctionner sans dépendre d’elle. C’est la thèse du découplage. Elle n’est pas nouvelle et émerge à chaque fois que les Etats-Unis connaissent un trou d’air. Mais cette fois-ci, assurent ceux qui la défendent, l’environnement est totalement différent.
En 2001, date de la dernière récession américaine, les pays émergents tels que le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine (les fameux BRIC selon l’acronyme élaboré par Goldman Sachs pour suivre l’évolution de la mondialisation et des pays émergents) n’avaient pas atteint le niveau de développement qui les caractérise aujourd’hui. Et encore, il convient de rappeler que la récession américaine de 2001 n’a duré que deux trimestres ce qui oblige à revenir à 1991 pour retrouver trace d’un repli durable de l’activité économique aux Etats-Unis. Un repli qui avait permis à Bill Clinton de remporter la présidentielle de 1992 face à Bush père grâce au fameux slogan «it’s the economy, stupid ! ».
En 1991, internet en était à ses balbutiements, la Russie s’effondrait, la Chine reprenait discrètement sa place sur l’échiquier mondial après les massacres de Tian’anmen de 1989. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Les pays émergents commercent de plus en plus entre eux ou avec l’Europe. L’Allemagne, championne du monde des exportateurs avec 200 milliards de dollars d’excédent commercial en 2007 a autant de débouchés commerciaux en Asie que sur le Vieux Continent ou aux Etats-Unis. Bref, la théorie du découplage n’est pas farfelue même s’il faut garder à l’esprit qu’une longue récession aux Etats-Unis aura des conséquences négatives sur toute la planète.
Mais si ce découplage se vérifie dans les prochains mois (à supposer que la récession américaine ait bien lieu, ce qui reste encore à prouver…), cela pourrait marquer l’émergence d’un nouvel ordre économique mondial et démontrer que le centre de gravité économique de la planète est en train de se déplacer vers l’Est. Peut-on dès lors affirmer, comme le fait l’hebdomadaire Newsweek, que « l’Amérique sera alors entrée en déclin » ? Peut-être pas mais il faut d’ores et déjà scruter avec soin les statistiques et études comparatives. Et, déjà, l’une d’elles mérite réflexion. Selon le McKinsey Global Institute, un cercle de réflexion (think tank) dépendant de la firme de conseil, le total des actifs financiers est désormais plus important en Europe qu’aux Etats-Unis ce qui n’était pas encore le cas en 2006 où les marchés américains détenaient 56.000 milliards de dollars contre 53.000 milliards pour leurs homologues européens, britanniques compris. C’est peut-être là le premier indice annonciateur de la perte de vitesse de l’Amérique par rapport à ses concurrents.
02. L’avidité et les bêtises de la main invisible
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Le Quotidien d'Oran, Mercredi 23 janvier 2008
Akram Belkaïd, Paris
S’il est encore trop tôt pour tirer les leçons de la récente tempête qui vient d’ébranler les Bourses mondiales, on peut d’ores et déjà se pencher sur l’un des ses aspects et en tirer une conclusion qui devrait faire réfléchir tous ceux qui ne jurent que par le marché et sa prétendue science infaillible. Que s’est-il passé pour que la panique s’empare des opérateurs et les pousse à vendre à tout va ? On le sait, à l’origine de cette pagaille, il y a la fameuse crise des « subprime » aux Etats-Unis, ces prêts immobiliers risqués, qui plombent désormais le bilan de nombreuses banques et qui n’ont pas fini de faire parler d’eux. On remarquera pourtant que cette crise dure depuis juin dernier et que personne n’ignorait que les établissements financiers sont les plus exposés. En fait, comme pour toute explosion, il a fallu une étincelle et c’est George W. Bush qui l’a provoquée.
Il ne s’agit pas d’accabler une nouvelle fois le président américain mais de noter que c’est après qu’il eut annoncé un plan de relance fiscale de 150 milliards de dollars que les Bourses américaines ont commencé à dévisser entraînant dans leur chute les autres places de la planète. Pourtant, l’intention de Bush était louable puisqu’il s’agissait de redonner confiance aux Américains en leur proposant des rabais fiscaux destinés à les encourager à consommer et donc à empêcher que l’économie de leur pays, qui dépend aux deux tiers de la consommation, n’entre en récession.
La question est donc de savoir pourquoi Wall Street n’a pas apprécié le plan Bush au point de déclencher un mini-krach mondial. La réponse est simple : les opérateurs n’attendaient pas un plan de relance fiscal destiné à sauver l’économie réelle. Ils espéraient plutôt, pour ne pas dire qu’ils exigeaient, des mesures de sauvetage pour la sphère financière. En un mot, le marché attendait de la présidence américaine qu’elle épongeât ses errements. Si Bush avait annoncé le déblocage de 150 milliards de dollars pour renflouer les établissements mis à mal par la crise des « subprime », il y a fort à parier que tous les indices boursiers auraient battu des records à la hausse.
Dès lors, deux conclusions s’imposent. La première est d’ordre général et c’est plutôt un rappel. Qu’on le veuille ou non, c’est bel et bien l’appât du gain qui guide le marché et cela quel qu’en soit le prix final. Comme pour les scandales précédents (Enron, Worldcom, LTCM, Barrings,…), les langues vont bien finir par se délier et on réalisera alors à quel point l’âpreté l’a disputé à l’imprudence dans cette affaire où des centaines de banques et des milliers de fonds ont bâti des châteaux de carte à partir de produits financiers risqués puisque adossés à des créances quasiment insolvables. « Greed », est d’ailleurs le mot qui revient le plus souvent dans les commentaires d’experts. Il signifie avidité et il résume bien ce qui a caractérisé les marchés dans cette affaire des « subprime ».
La deuxième conclusion découle de ce qui précède. Disons-le et répétons-le, la fameuse « main invisible » qui agirait pour donner au marché toute sa rationalité n’est qu’une fumisterie à laquelle, de toutes les façons, seuls quelques ultra-libéraux continuent de croire cela sans oublier une kyrielle d’experts du Sud qui pensent être crédibles en ânonnant que le marché peut tout et qu’il a toujours raison. D’abord, le marché s’est trompé en se fourvoyant à propos de crédits vérolés et, de plus, il a été incapable de détecter à temps leur dangerosité. Mieux, ou pire, il a espéré jusqu’au bout l’intervention directe de l’Etat américain pour qu’il efface son ardoise. En un mot, quand les choses vont mal, il n’y a pas de « main invisible » qui tienne et les opérateurs des marchés s’en remettent toujours à l’intervention publique. C’est une leçon à méditer alors que l’on continue ici et là à promouvoir le dogme du moins d’Etat.
Le Quotidien d'Oran, Mercredi 23 janvier 2008
Akram Belkaïd, Paris
S’il est encore trop tôt pour tirer les leçons de la récente tempête qui vient d’ébranler les Bourses mondiales, on peut d’ores et déjà se pencher sur l’un des ses aspects et en tirer une conclusion qui devrait faire réfléchir tous ceux qui ne jurent que par le marché et sa prétendue science infaillible. Que s’est-il passé pour que la panique s’empare des opérateurs et les pousse à vendre à tout va ? On le sait, à l’origine de cette pagaille, il y a la fameuse crise des « subprime » aux Etats-Unis, ces prêts immobiliers risqués, qui plombent désormais le bilan de nombreuses banques et qui n’ont pas fini de faire parler d’eux. On remarquera pourtant que cette crise dure depuis juin dernier et que personne n’ignorait que les établissements financiers sont les plus exposés. En fait, comme pour toute explosion, il a fallu une étincelle et c’est George W. Bush qui l’a provoquée.
Il ne s’agit pas d’accabler une nouvelle fois le président américain mais de noter que c’est après qu’il eut annoncé un plan de relance fiscale de 150 milliards de dollars que les Bourses américaines ont commencé à dévisser entraînant dans leur chute les autres places de la planète. Pourtant, l’intention de Bush était louable puisqu’il s’agissait de redonner confiance aux Américains en leur proposant des rabais fiscaux destinés à les encourager à consommer et donc à empêcher que l’économie de leur pays, qui dépend aux deux tiers de la consommation, n’entre en récession.
La question est donc de savoir pourquoi Wall Street n’a pas apprécié le plan Bush au point de déclencher un mini-krach mondial. La réponse est simple : les opérateurs n’attendaient pas un plan de relance fiscal destiné à sauver l’économie réelle. Ils espéraient plutôt, pour ne pas dire qu’ils exigeaient, des mesures de sauvetage pour la sphère financière. En un mot, le marché attendait de la présidence américaine qu’elle épongeât ses errements. Si Bush avait annoncé le déblocage de 150 milliards de dollars pour renflouer les établissements mis à mal par la crise des « subprime », il y a fort à parier que tous les indices boursiers auraient battu des records à la hausse.
Dès lors, deux conclusions s’imposent. La première est d’ordre général et c’est plutôt un rappel. Qu’on le veuille ou non, c’est bel et bien l’appât du gain qui guide le marché et cela quel qu’en soit le prix final. Comme pour les scandales précédents (Enron, Worldcom, LTCM, Barrings,…), les langues vont bien finir par se délier et on réalisera alors à quel point l’âpreté l’a disputé à l’imprudence dans cette affaire où des centaines de banques et des milliers de fonds ont bâti des châteaux de carte à partir de produits financiers risqués puisque adossés à des créances quasiment insolvables. « Greed », est d’ailleurs le mot qui revient le plus souvent dans les commentaires d’experts. Il signifie avidité et il résume bien ce qui a caractérisé les marchés dans cette affaire des « subprime ».
La deuxième conclusion découle de ce qui précède. Disons-le et répétons-le, la fameuse « main invisible » qui agirait pour donner au marché toute sa rationalité n’est qu’une fumisterie à laquelle, de toutes les façons, seuls quelques ultra-libéraux continuent de croire cela sans oublier une kyrielle d’experts du Sud qui pensent être crédibles en ânonnant que le marché peut tout et qu’il a toujours raison. D’abord, le marché s’est trompé en se fourvoyant à propos de crédits vérolés et, de plus, il a été incapable de détecter à temps leur dangerosité. Mieux, ou pire, il a espéré jusqu’au bout l’intervention directe de l’Etat américain pour qu’il efface son ardoise. En un mot, quand les choses vont mal, il n’y a pas de « main invisible » qui tienne et les opérateurs des marchés s’en remettent toujours à l’intervention publique. C’est une leçon à méditer alors que l’on continue ici et là à promouvoir le dogme du moins d’Etat.
01. Fonds souverain : Mais qu’attend donc l’Algérie !
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 16 janvier 2008
Avec la crise de l’immobilier aux Etats-Unis, le retour des tensions inflationnistes et la flambée des cours du pétrole et de l’or, la montée en puissance des fonds souverains, (« Sovereign wealth fund », en anglais), notamment ceux d’Asie et des pays du Golfe, fait partie des thème qui tiennent actuellement la vedette de l’actualité économique mondiale. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que la presse économique internationale n’annonce une opération majeure menée par l’un des ces fonds dont l’une des missions majeures est d’investir pour les générations futures. En novembre dernier, l’Abou Dhabi Investment Authority (ADIA), fonds souverain de l’émirat d’Abou Dhabi (1.000 milliards de dollars d’avoirs), a ainsi créé la sensation en rachetant 5% du capital de Citigroup, la première banque américaine, pour 7,5 milliards de dollars. Depuis, les entrées dans le capital de grandes banques d’affaires par des fonds souverains asiatiques ou arabes se multiplient et il est d’ores et déjà acquis que Citigroup, Merrill Lynch et Morgan Stanley ainsi que d’autres fleurons de la finance mondiale vont encore plus s’ouvrir aux appétits des fonds d’Etat. Et ces derniers ne se contentent pas des banques puisqu’ils visent tous les secteurs qu’il s’agisse de la distribution, des technologies de l’information voire de la pharmacie ou de l’automobile.
Dès lors se pose une question toute simple : Qu’attend l’Algérie pour créer son fonds souverain ? Pourquoi se priver de l’opportunité de prendre des participations, même minoritaires, dans des entreprises globalisées qui sont à la recherche d’argent frais ? Par ces temps où, en Occident, le crédit est difficile à obtenir, les pays qui profitent de la hausse des prix du pétrole ou, dans le cas asiatique, du boom de leurs exportations, ont compris que l’occasion est trop belle de mettre un pied dans l’économie des pays industrialisés. Pourquoi donc rester en dehors de ce mouvement ? L’été dernier, c’est la Libye qui a créé son fonds et l’Egypte pourrait en faire autant au cours des prochains mois. Partout, la démarche est la même : prendre des participations en achetant des actions – et non plus uniquement des obligations d’Etat – en vue de retours sur investissements conséquents à long terme. Car, contrairement à ce qu’essaient de faire croire les contempteurs occidentaux des fonds souverains, ces derniers ne ressemblent en rien aux « hedge funds » spéculatifs. Bien géré, un fonds souverain n’est ni plus ni moins qu’une assurance pour l’avenir.
Un argument, souvent entendu, concerne la prudence nécessaire que l’Algérie se doit d’avoir en matière de gestion de ses recettes en devises étrangères. Soit. Mais, dans aucun pays, il n’est question de tout mettre dans un fonds souverain. Une infime partie du surplus budgétaire ou des réserves détenues par la Banque centrale pourrait être versée dans un fonds souverain autorisé à mener une politique d’investissement plus dynamique. A titre d’exemple, le fonds souverain du Sultanat d’Oman possède entre 6 et 10 milliards de dollars tandis que celui du Qatar gère entre 60 et 70 milliards de dollars.
L’argument de l’absence d’expertise en matière de gestion d’actifs internationaux ne tient pas non plus la route. A considérer qu’elle n’existe pas en Algérie – ce qui reste à prouver – cette matière grise est désormais une marchandise qui s’achète, se loue ou s’échange comme en témoigne le cas de China Investment Corp, le fonds d’Etat chinois créé en septembre dernier pour gérer un portefeuille de 200 milliards de dollars. Afin d’assurer au mieux sa mission et investir dans les marchés d’actions, ce fonds a lancé en décembre un appel d’offres qui a reçu, dès la mi-janvier, plus de 100 candidatures de gérants internationaux de portefeuille. Parmi les clauses que China Investment Corp va imposer au gérant qui sera choisi, figure notamment l’obligation de formation de cadres chinois.
Pour l’Algérie, la création d’un fonds souverain aurait donc au moins un avantage majeur : celui d’améliorer l’expertise algérienne en matière d’investissements internationaux avec, pour objectif, si ce n’est pour modèle, le cas d’école du Koweït dont le fonds souverain, la Kuwait Investment Authority (200 milliards de dollars d’actifs), a été créé en 1953 et dont les effectifs sont aujourd’hui constitués dans leur grande majorité, et à tous les niveaux hiérarchiques, de ressortissants koweitiens. Enfin, la manière décomplexée dont le Qatar gère son fonds d’Etat peut constituer un élément de comparaison : Créé en 2005, la Qatar Investment Authority est dirigée par Ken Shen, un sino- américain, et compte en son sein des experts venus des quatre coins de la planète. Cela, et c’est le but affiché par les autorités de Doha, en attendant qu’émergent à moyen terme des responsables locaux.
Le Quotidien d'Oran, mercredi 16 janvier 2008
Avec la crise de l’immobilier aux Etats-Unis, le retour des tensions inflationnistes et la flambée des cours du pétrole et de l’or, la montée en puissance des fonds souverains, (« Sovereign wealth fund », en anglais), notamment ceux d’Asie et des pays du Golfe, fait partie des thème qui tiennent actuellement la vedette de l’actualité économique mondiale. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que la presse économique internationale n’annonce une opération majeure menée par l’un des ces fonds dont l’une des missions majeures est d’investir pour les générations futures. En novembre dernier, l’Abou Dhabi Investment Authority (ADIA), fonds souverain de l’émirat d’Abou Dhabi (1.000 milliards de dollars d’avoirs), a ainsi créé la sensation en rachetant 5% du capital de Citigroup, la première banque américaine, pour 7,5 milliards de dollars. Depuis, les entrées dans le capital de grandes banques d’affaires par des fonds souverains asiatiques ou arabes se multiplient et il est d’ores et déjà acquis que Citigroup, Merrill Lynch et Morgan Stanley ainsi que d’autres fleurons de la finance mondiale vont encore plus s’ouvrir aux appétits des fonds d’Etat. Et ces derniers ne se contentent pas des banques puisqu’ils visent tous les secteurs qu’il s’agisse de la distribution, des technologies de l’information voire de la pharmacie ou de l’automobile.
Dès lors se pose une question toute simple : Qu’attend l’Algérie pour créer son fonds souverain ? Pourquoi se priver de l’opportunité de prendre des participations, même minoritaires, dans des entreprises globalisées qui sont à la recherche d’argent frais ? Par ces temps où, en Occident, le crédit est difficile à obtenir, les pays qui profitent de la hausse des prix du pétrole ou, dans le cas asiatique, du boom de leurs exportations, ont compris que l’occasion est trop belle de mettre un pied dans l’économie des pays industrialisés. Pourquoi donc rester en dehors de ce mouvement ? L’été dernier, c’est la Libye qui a créé son fonds et l’Egypte pourrait en faire autant au cours des prochains mois. Partout, la démarche est la même : prendre des participations en achetant des actions – et non plus uniquement des obligations d’Etat – en vue de retours sur investissements conséquents à long terme. Car, contrairement à ce qu’essaient de faire croire les contempteurs occidentaux des fonds souverains, ces derniers ne ressemblent en rien aux « hedge funds » spéculatifs. Bien géré, un fonds souverain n’est ni plus ni moins qu’une assurance pour l’avenir.
Un argument, souvent entendu, concerne la prudence nécessaire que l’Algérie se doit d’avoir en matière de gestion de ses recettes en devises étrangères. Soit. Mais, dans aucun pays, il n’est question de tout mettre dans un fonds souverain. Une infime partie du surplus budgétaire ou des réserves détenues par la Banque centrale pourrait être versée dans un fonds souverain autorisé à mener une politique d’investissement plus dynamique. A titre d’exemple, le fonds souverain du Sultanat d’Oman possède entre 6 et 10 milliards de dollars tandis que celui du Qatar gère entre 60 et 70 milliards de dollars.
L’argument de l’absence d’expertise en matière de gestion d’actifs internationaux ne tient pas non plus la route. A considérer qu’elle n’existe pas en Algérie – ce qui reste à prouver – cette matière grise est désormais une marchandise qui s’achète, se loue ou s’échange comme en témoigne le cas de China Investment Corp, le fonds d’Etat chinois créé en septembre dernier pour gérer un portefeuille de 200 milliards de dollars. Afin d’assurer au mieux sa mission et investir dans les marchés d’actions, ce fonds a lancé en décembre un appel d’offres qui a reçu, dès la mi-janvier, plus de 100 candidatures de gérants internationaux de portefeuille. Parmi les clauses que China Investment Corp va imposer au gérant qui sera choisi, figure notamment l’obligation de formation de cadres chinois.
Pour l’Algérie, la création d’un fonds souverain aurait donc au moins un avantage majeur : celui d’améliorer l’expertise algérienne en matière d’investissements internationaux avec, pour objectif, si ce n’est pour modèle, le cas d’école du Koweït dont le fonds souverain, la Kuwait Investment Authority (200 milliards de dollars d’actifs), a été créé en 1953 et dont les effectifs sont aujourd’hui constitués dans leur grande majorité, et à tous les niveaux hiérarchiques, de ressortissants koweitiens. Enfin, la manière décomplexée dont le Qatar gère son fonds d’Etat peut constituer un élément de comparaison : Créé en 2005, la Qatar Investment Authority est dirigée par Ken Shen, un sino- américain, et compte en son sein des experts venus des quatre coins de la planète. Cela, et c’est le but affiché par les autorités de Doha, en attendant qu’émergent à moyen terme des responsables locaux.
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