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19. Les patrons, les riches et les salariés

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 21 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris



C’est un coup de sang qui a le mérite d’être signalé. La semaine dernière, Horst Köhler, l’actuel président de la république fédérale allemande et ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), a vertement mis en cause les banques pour leurs responsabilités dans l’actuelle crise financière. Dans un entretien accordé au magazine Stern, il a ainsi qualifié les banquiers « d’alchimistes responsables de la destruction massive d’actifs ». Sa critique a aussi porté sur les marchés financiers globalisés accusés d’être devenus des « monstres » qu’il serait urgent de remettre à leur place. Et c’est en toute logique que Köhler a plaidé pour une plus forte régulation de ces marchés sans oublier la « reconstruction d’une culture bancaire européenne ». En clair, il serait temps que les banquiers européens redeviennent plus sages et cessent de suivre leurs homologues américains sur la voie de l’avidité.

L’un des autres thèmes abordés par Horst Köhler concerne la rémunération des dirigeants d’entreprise qu’il juge « excessive » et « grotesque ». Dans un monde où le PDG d’une société peut gagner en un an l’équivalent de 300 ans de salaire d’un smicard, ce jugement s’inscrit dans une tendance nouvelle qui, jour après jour, appelle à plus d’équité en matière de revenus. D’ailleurs, Köhler n’est pas le seul à déplorer cette situation. Jean-Claude Junker, le premier ministre luxembourgeois qui préside aussi l’Eurogroupe (réunion informelle des pays membres de la zone euro), a fait entendre lui aussi son avis sur les patrons qui touchent gros. Pour celui que l’on pressent comme étant le futur président de l’Union européenne (UE), leurs salaires sont proprement « scandaleux ». Et, de fait, l’UE devrait plancher sur une réglementation destinée à limiter les abus en matière de salaires des dirigeants d’entreprise.

Pour autant, il faut se garder de croire aux contes de fées. Il y a peu de chances pour que la Commission adopte des règles révolutionnaires. Déjà, en 2004, Bruxelles avait émis des recommandations qui n’ont guère eu d’effets sur l’âpreté au gain des patrons européens. De même, il faut savoir que les lobbies patronaux sont bien décidés à contrer tout texte contraignant. Il suffit de lire les commentaires qui ont suivi les propos de Köhler pour en prendre conscience. Du Financial Times au Wall Street Journal, cela n’a été qu’ironie acerbe ou indignation face à des propos jugés d’un autre âge.

Pourtant, on se demande bien pourquoi les patrons européens s’indignent d’être montrés du doigt. Alors que leurs salaires explosent et qu’ils ne se refusent rien en matière de primes et de rémunération indirecte (notamment par le biais des stocks-options), la grande masse des salariés doit se serrer la ceinture. Dans sa dernière livraison consacrée aux riches, Manière de voir (le supplément trimestriel du Monde Diplomatique) cite les chiffres édifiants donnés par le FMI et la Commission européenne : dans les pays du G7, la part des salaires dans le produit intérieur brut a baissé de 5,8% entre 1983 et 2006. De même, au sein de l’Europe, cette part a chuté de 8,6%.

Voilà donc la situation. Alors que la productivité des salariés européens n’a jamais été aussi bonne, leurs salaires sont contenus au nom de la limitation des dépenses et, plus récemment, de la lutte contre l’inflation. Dès lors, on comprend pourquoi les opinions publiques commencent à râler ferme. Selon un sondage réalisé par le Financial Times et l’institut Harris, plus de 75% des habitants des pays développés considèrent que le gap – c'est-à-dire l’écart – entre les riches et les moins fortunés est trop grand. Cela vaut aussi aux Etats-Unis, pays où l’on est traditionnellement moins enclin à s’en prendre aux disparités salariales.

Plus important encore, une très grande majorité des sondés réclament que les plus riches paient plus d’impôts. La manière dont cette exigence va évoluer au cours des prochains mois et années constitue l’une des grandes inconnues. Sera-t-elle récupérée par les partis politiques de gauche ? Va-t-elle être étouffée par les lobbies et les gouvernements de droite au nom de la compétitivité ? Les paris sont ouverts.

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