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15. Un baril à 1000 ou à 20 dollars ?

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 23 avril 2008
Akram Belkaïd, Paris


C’est bien connu, les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel mais l’actuelle flambée des cours du pétrole semble faire oublier cet adage plein de bon sens. De fait, il ne se passe pas une journée sans qu’une note de recherche émise par un grand établissement financier ne donne dans la surenchère en annonçant un baril à plusieurs centaines de dollars. La tendance n’est pas nouvelle. Il y a plus d’un an, Goldman Sachs avait déjà défrayé la chronique en prévoyant que le Brent toucherait les 300 dollars. On attend donc les prochaines prédictions et il ne faudra pas s’étonner si un expert en mal de publicité s’avance à pronostiquer un baril à 500 voire à 1000 dollars.

Cela devrait mettre la puce à l’oreille à tous les producteurs de pétrole à commencer par les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). En effet, quand ce genre de prévisions se multiplient sur un marché donné, c’est qu’un mouvement spéculatif inverse est en train de se mettre en place. Ce fut le cas par exemple au début des années 2000 avec les valeurs de l’internet. D’un côté, des analystes promettaient la lune aux investisseurs, allant toujours plus loin dans les estimations optimistes en matière de hausse des cours et, de l’autre, les grandes banques d’affaires et les grandes maisons de courtage préparaient en sous-main leur sortie du marché. Après le krach du Nasdaq en mars 2000, ne sont restés que les gogos qui, justement, avaient cru que les indices boursiers pouvaient caresser les étoiles.

Mettons-nous à la place d’un trader opérant aujourd’hui sur les marchés de l’énergie. Deux attitudes s’offrent à lui. La première, moutonnière, le ferait suivre le mouvement en pariant sur une hausse continue du baril. Pour justifier ses positions acheteuses (on achète aujourd’hui car cela vaudra plus cher demain), il aura l’embarras du choix en matière d’arguments. La production mondiale est insuffisante pour répondre à la demande, notamment celle des pays émergents, Chine et Inde en tête. Les pays membres de l’Opep ont, semble-t-il, décidé de ne pas s’en laisser compter et ils continueront à refuser d’ouvrir les vannes malgré les injonctions des pays consommateurs. De plus, les compagnies pétrolières ont pris tellement de retard dans leurs programmes d’exploration que ce n’est pas demain la veille que de nouveaux gisements seront découverts.

De même, notre trader aura bien soin de rappeler que les producteurs hors-Opep sont eux aussi au taquet et qu’ils sont incapables d’augmenter leur production de plus de 600.000 barils par jour alors qu’il en faudrait, affirment les experts, plus du double voire du triple pour calmer le marché. Enfin, ce même trader ne pourra s’empêcher de se dire que ses concurrents font le même raisonnement que lui et qu’il a intérêt à ne pas prendre de risques s’il veut se garantir un coquet bonus à la fin de l’année.

Mais dans le même temps, il faut s’imaginer un autre trader, moins suiviste, lequel, comme ses pairs qui viennent de gagner des milliards de dollars en pariant depuis 2005 sur la crise des subprime, se dit que tout cela n’a pas de sens. En quoi, se demande-t-il, une augmentation de la demande mondiale de pétrole d’à peine 1,5% par an peut-elle justifier que l’on se prenne à fantasmer sur un baril à 200 dollars. Certes, ce trader sait que, par effet mécanique, la plongée du dollar américain contribue à augmenter le prix de l’or noir. Il sait aussi que la soudaine mise au ban des agrocarburants a un effet haussier sur les cours du brut. Mais il sait aussi que l’on ne réalise de jolis coups qu’en pariant contre le marché et c’est donc ce que lui et une poignée d’autres opérateurs sont en train de faire en ce moment. Cela signifie que, tôt ou tard, le prix du baril va dévisser. Il suffit juste d’attendre le catalyseur : une nette remontée du dollar, la découverte d’un champ pétrolier ou un atterrissage plus brutal que prévu de la croissance chinoise. C’est alors, n’en doutons pas, que les notes de recherche commenceront à s’interroger sur un baril à 20 dollars…
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